Bonjour Michel,
C'est vrai que j'aime bien tapoter le clavier ou conter des histoires - je vous offre donc cette Nouvelle, toute fraîche, que je viens de composer ce matin - bonne lecture!
PUITS 17
Le puits 17 a fermé. C’était prévu depuis longtemps. Mais comme dans tous les événements semblables, et malgré un reclassement promis à chaque employé, les gueules noirs se sont rassemblés devant l’entrée de la mine pour exprimer leur désarroi. Car au-delà même de l’inquiétude économique, le besoin pour chacun de se composer une nouvelle trajectoire, d’aborder une autre vie pleine d’inconnu, il faut d’abord clore un chapitre majeur de sa propre histoire, reléguer aux souvenirs les habitudes, les repères, les liens de toutes sortes, essayer de ne pas se retourner et ne regarder que vers demain.
A l’exception de quelques agitateurs proférant des slogans vengeurs et incitant à une vaine insurrection, les hommes étaient là, silencieux, un regard presque religieux fixé vers le majestueux chevalement qui enjambe le puits, comme s’ils étaient venus rendre un dernier hommage à un géant déserté de toute vie : la leur. On reconnaissait parmi eux de vieux complices : Marco-le-trekkeur accompagné de son fidèle bouvier, et le Romain, le Françouais, le camarade Dany, délégué syndical, le Vince, le Mich et bien d’autres, et aussi la Maïlor qui tenait le dispensaire avec autorité.
Phil, un jeune technicien d’entretien, se lâcha sur le ton du regret :
- C’est con, hein ! quand tu penses qu’on pourrait encore produire ici de l’énergie non plus fossile, mais simplement électrique… »
- Cool, Phil, répliqua une voix, tu dis toujours n’imp . On va tous tranquillement rentrer chez nous et tourner la page.
Grosbébert l’invita cordialement :
- Viens avec nous, « La Burette » (on le surnommait ainsi parce que pour réanimer les mécanismes fatigués, il ne se séparait jamais de sa bombe de dégrippant), on se retrouve tout à l’heure au CAFE DES HOUILLES. Pour la circonstance, le patron offre une tournée de Viandox, comme il dit.
Un petit groupe entourant La Burette partit donc vers l’estaminet, histoire de l’écouter élucubrer et s’éloigner quelques instants des déconvenues de la destinée. A leur arrivée, le bistrotier Pascal retourna des verres à pied qu’il aligna sur le zinc. Puis, pour la circonstance, il descendit dans la cave fouiller dans les trésors de sa réserve. Il en rapporta quelques bouteilles poussiéreuses qu’il déboucha et versa dans les ballons.
Les mineurs saisirent chacun un verre et s’apprêtèrent à le descendre cul-sec, quand Pascal les tempéra :
- Prenez le temps de découvrir le cadeau du patron, les gars. Ce n’est pas du rouquin ordinaire. Vous allez découvrir un capiteux « BERNET.B des costières de Castries ».
Les compagnons dégustèrent en saluant la qualité du breuvage par des hochements de tête, des claquements de bouche et des propos élogieux, puis La Burette prit la parole :
- Vous savez, les gars, une mine qui ferme retrouve des fois une deuxième vie, certaines sont converties en musée….
- Ou même en nouveau pôle de production, renchérit le Manu. Regardez ce qui se passe à Petite Heldange. Une reconversion exemplaire : tout un réseau de géothermie a été tiré dans les galeries avant de laisser l’eau inonder la mine. Aujourd’hui la cité est pratiquement chauffée par les calories récupérées à très bon marché, et une eau d’excellente qualité et abondante est distribuée jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres autour de cette immense réserve sous- terraine après décarbonatation, laquelle fournit donc environ cinquante tonnes par jour de calcaire recyclés par un fabricant de parpaings… rien n’est perdu.
La Burette allait reprendre le cours de son idée, mais à la surprise de son auditoire, il sembla s’égarer dans des détails culinaires :
- … puis tu verses en pluie légère les hachures de ciboule sur les œufs battus tout en continuant à …
Tous avaient compris ce message implicite et firent mine de ne pas voir entrer une silhouette fantomatique qui s’approcha du comptoir :
- Hé le Pascal ! Tu lâches ces pochtrons et tu me sers illico un Fernet-Branca à la table du fond.
- Tiens ! Qui voilà ? Anne Honnie-Muse ! toujours aussi gracieuse… je crois que la table du fond est peut-être réservée à des clients sympa. Je t’apporte ta commande en terrasse, si tu veux.
- Ouais, c’est bon, on sait que chez toi certains clients sont plus égaux que d’autres. Je préfère aller ailleurs, salut !
La Burette attendit qu’elle soit ressortie pour poursuivre son exposé :
- Celle-là, à part vider son fiel sur les braves gens, on se demande ce qu’elle est venue faire sur terre. Bon, je continue. Souvent, en regardant les nacelles plonger vers le fond du puits, je les comparais au leste de l’horloge comtoise de ma belle-mère. Le poids en fonte descend lentement en exactement une semaine. En somme il restitue régulièrement, ou au besoin, l’énergie qu’on lui a fournie en rembobinant le cordon à la manivelle. Et cette manivelle, c’est le vent qui pourrait la remplacer. Vous n’imaginez pas la puissance du vent quand il passe dans les hélices de ventilation du puits !
- Soit, le coupa le Françouais, tu veux nous entraîner vers l’énergie éolienne, mais les ventilateurs poussent partout dans la nature en ce moment. Et chacun brasse l’air sur un diamètre de presque cent mètre. Et vous l’avez remarqué, ils ne tournent pas toujours. C’est simplement comme pour la Bourse, les moulins à vent tournent quand le cours de l’électricité monte, mais on les arrête quand le cours redescend, car cette énergie n’est pas stockable.
- Merci, le Françouais, tu m’offres un bon raccourci pour poursuivre mes explications. Voilà. Même si les hélices de ventilation sont bien moins puissantes que les éoliennes, on peut les laisser tourner tout le temps, chaque fois que le vent s’y engouffre. Cette énergie fait tourner des rouages qui font remonter un leste, et là je pense à la nacelle d’ascenseur plus ou moins alourdie qui peut descendre jusqu’à mille mètres dans le puits, à la vitesse souhaitée, quand on veut. C’est un stock de kilowatts important qui se reconstruit à chaque petite brise. Ouais, les gars, des kilowatts en stocks fabriqués chez radinus. Qu’en pensez-vous ?
- « Ad augusta per angusta » proclama Dany qui avait passé quelques années au séminaire.
- « ÂÂÂaaaameeeeeeeen » entonnèrent en chœur les mineurs en tendant leur verre.
Puis ils commencèrent à rejoindre la sortie après avoir serré fraternellement les épaules de La Burette.
- Sâpré-toi … Géo-trouve-tout … Mac Giver … Léonard le Génie ...
Chacun en s’en allant lui exprima son amitié par une boutade, mais personne ne l’avait encouragé dans son idée.
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- S’il vous plaît, Monsieur Pascal, voulez-vous reverser un verre à Monsieur La Burette et le porter à ma table.
- Tout de suite, Monsieur De La Combe.
Puis Pascal se rapprocha de l’oreille de Phil La Burette et lui murmura :
- Tu peux aller t’assoir à la table du type chauve en cravate, c’est Monsieur De La Combe, un ingénieur-cadre de la firme EPSI-MINES. Lui a écouté ton laïus avec attention et je crois que ton histoire de restitution différée d’énergie, ça lui plait. Alors, bon vent mon gars !
