par Daniel MOINE » jeu. juil. 10, 2014 11:12 am
Arrêt du 3 octobre 2013 : à la CJUE rien de nouveau sur le front du monopole de la sécurité sociale.
Par Rémy PHILIPPOT - Avocat | Modifié le 12-11-2013 |
Depuis quelques semaines, un grand nombre de publications fleurissent à propos de l'arrêt de la CJUE, 3 octobre 2013, n° C 59/12, aff. BKK Mobil Oil Körperschaft des öffentlichen Rechts c. Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV en extrapolant sur la fin du monopole de la sécurité sociale et la liberté d'adhésion concernant les différents régimes de protection sociale.
Pour autant, il conviendra d'être extrêmement prudent par rapport à la portée réelle de cet arrêt qui a priori ne modifie en rien l'état du droit communautaire s'agissant du monopole de la sécurité sociale.
Revenons sur les faits de l'arrêt du 3 octobre 2013 précité : Interrogée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) qui doit trancher un litige entre la Wettbewerbszentrale, une association allemande de lutte contre la concurrence déloyale, et BKK, une caisse d'assurance maladie du régime légal allemand constituée sous la forme d'un organisme de droit public, la Cour dit pour droit que la directive sur les pratiques commerciales déloyales, qui interdit de telles pratiques vis-à-vis des consommateurs s'applique à un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général, telle que la gestion d'un régime légal d'assurance maladie.
D'après la Cour, malgré son caractère public et sa mission d'intérêt général, un tel organisme doit être considéré comme « professionnel » au sens de la directive, auquel l'interdiction de pratiques commerciales déloyales s'applique.
En l'espèce, la BKK avait diffusé une information sur son site Internet, en 2008, selon laquelle ses affiliés risqueraient des désavantages financiers en cas de changement de caisse, constitue, ainsi que le faisait valoir la Wettbewerbszentrale, une pratique trompeuse au sens de la directive.
Cependant, cette assimilation doit clairement être circonscrite à la directive sur les pratiques commerciales déloyales stricto sensu et ne peut signifier l'application des règles de concurrences aux régimes de protection sociale ni la fin du monopole de la sécurité sociale en la matière.
Il convient de se rapporter aux conclusions de l'avocat général Bot sur cet arrêt.
Ce dernier rappelle en préliminaire que « Par la présente question préjudicielle, le Bundesgerichtshof (Allemagne) demande à la Cour d'interpréter la notion de «professionnel», au sens de la directive 2005/29/CE (2) relative aux pratiques commerciales déloyales et ainsi de préciser le champ d'application des règles énoncées par cette dernière ».
Les conclusions prennent la peine de rappeler que « Les termes qu'emploie le législateur de l'Union sont définis à l'article 2 de la directive. Conformément à cet article 2, sous b), il faut entendre par «professionnel» «toute personne physique ou morale qui, pour les pratiques commerciales relevant de la [...] directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et toute personne agissant au nom ou pour le compte d'un professionnel ».
C'est donc uniquement au regard de cette directive sur les pratiques commerciales déloyales qui vise à assurer un niveau commun élevé de protection des consommateurs en procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale des professionnels à l'égard des consommateurs, qui portent atteinte aux intérêts économiques de ces derniers que se situe le débat de l'arrêt du 3 octobre 2013.
Or, l' objectif poursuivi par la directive sur les pratiques commerciales déloyales, qui consiste à protéger pleinement les consommateurs contre des pratiques de cette nature, repose sur la circonstance que, par rapport à un professionnel, le consommateur se trouve dans une position d'infériorité, en ce qu'il doit être réputé économiquement plus faible et juridiquement moins expérimenté que son cocontractant.
Par suite, c'est compte tenu de l' importance primordiale que revêt la notion de consommateur et que les interprétations de la directive sont conçues essentiellement dans l'optique du consommateur en tant que destinataire et victime de pratiques commerciales déloyales que la CJUE considère que « les affiliés de BKK, qui doivent à l'évidence être considérés comme des consommateurs au sens de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, risquent d'être induits en erreur par les informations trompeuses diffusées par cet organisme en les empêchant de faire un choix en connaissance de cause (voir considérant 14 de cette directive) et en les amenant ainsi à prendre une décision qu'ils n'auraient pas prise en l'absence de telles informations, ainsi que le prévoit l'article 6, paragraphe 1, de la même directive.
Dans ce contexte, le caractère public ou privé de l'organisme en cause de même que la mission spécifique que ce dernier poursuit sont dépourvus de pertinence . » (point 37).
La CJUE choisit par conséquent, « de reconnaître à un organisme tel que BKK la qualité de «professionnel» au sens de ladite directive » et de considérer que « relève de son champ d'application personnel un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général, telle que la gestion d'un régime d'assurance maladie ».
Pour autant, encore une fois la CJUE prend soin de préciser que « L'interprétation qui précède est en effet la seule qui est de nature à assurer le plein effet à la directive sur les pratiques commerciales déloyales, en garantissant que, conformément à l'exigence d'un niveau élevé de protection des consommateurs, les pratiques commerciales déloyales soient combattues de manière efficace ».(point 39) (souligné pour nous).
D'ailleurs, à aucun moment, l'avocat général BOT dans ses conclusions, ne remet en cause l'état du droit communautaire sur la question du monopole de la sécurité sociale, se contentant de rappeler notamment que s'agissant du droit de la concurrence, la Cour a exclu de la notion d'entreprise les entités qui exercent des activités poursuivant un but exclusivement social, telles que celles qu'exercent les caisses allemandes d'assurance maladie ou les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale (Arrêt du 16 mars 2004, AOK Bundesverband e.a. C 264/01, C 306/01, C 354/01 et C 355/01, Rec. p. I 2493).
Le travail de lobbying aussi bien interne que communautaire par rapport à la question reste donc entier.
Par Me. PHILIPPOT
Arrêt du 3 octobre 2013 : à la CJUE rien de nouveau sur le front du monopole de la sécurité sociale.
Par Rémy PHILIPPOT - Avocat | Modifié le 12-11-2013 |
Depuis quelques semaines, un grand nombre de publications fleurissent à propos de l'arrêt de la CJUE, 3 octobre 2013, n° C 59/12, aff. BKK Mobil Oil Körperschaft des öffentlichen Rechts c. Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV en extrapolant sur la fin du monopole de la sécurité sociale et la liberté d'adhésion concernant les différents régimes de protection sociale.
Pour autant, il conviendra d'être extrêmement prudent par rapport à la portée réelle de cet arrêt qui a priori ne modifie en rien l'état du droit communautaire s'agissant du monopole de la sécurité sociale.
Revenons sur les faits de l'arrêt du 3 octobre 2013 précité : Interrogée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) qui doit trancher un litige entre la Wettbewerbszentrale, une association allemande de lutte contre la concurrence déloyale, et BKK, une caisse d'assurance maladie du régime légal allemand constituée sous la forme d'un organisme de droit public, la Cour dit pour droit que la directive sur les pratiques commerciales déloyales, qui interdit de telles pratiques vis-à-vis des consommateurs s'applique à un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général, telle que la gestion d'un régime légal d'assurance maladie.
D'après la Cour, malgré son caractère public et sa mission d'intérêt général, un tel organisme doit être considéré comme « professionnel » au sens de la directive, auquel l'interdiction de pratiques commerciales déloyales s'applique.
En l'espèce, la BKK avait diffusé une information sur son site Internet, en 2008, selon laquelle ses affiliés risqueraient des désavantages financiers en cas de changement de caisse, constitue, ainsi que le faisait valoir la Wettbewerbszentrale, une pratique trompeuse au sens de la directive.
Cependant, cette assimilation doit clairement être circonscrite à la directive sur les pratiques commerciales déloyales stricto sensu et ne peut signifier l'application des règles de concurrences aux régimes de protection sociale ni la fin du monopole de la sécurité sociale en la matière.
Il convient de se rapporter aux conclusions de l'avocat général Bot sur cet arrêt.
Ce dernier rappelle en préliminaire que « Par la présente question préjudicielle, le Bundesgerichtshof (Allemagne) demande à la Cour d'interpréter la notion de «professionnel», au sens de la directive 2005/29/CE (2) relative aux pratiques commerciales déloyales et ainsi de préciser le champ d'application des règles énoncées par cette dernière ».
Les conclusions prennent la peine de rappeler que « Les termes qu'emploie le législateur de l'Union sont définis à l'article 2 de la directive. Conformément à cet article 2, sous b), il faut entendre par «professionnel» «toute personne physique ou morale qui, pour les pratiques commerciales relevant de la [...] directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et toute personne agissant au nom ou pour le compte d'un professionnel ».
C'est donc uniquement au regard de cette directive sur les pratiques commerciales déloyales qui vise à assurer un niveau commun élevé de protection des consommateurs en procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale des professionnels à l'égard des consommateurs, qui portent atteinte aux intérêts économiques de ces derniers que se situe le débat de l'arrêt du 3 octobre 2013.
Or, l' objectif poursuivi par la directive sur les pratiques commerciales déloyales, qui consiste à protéger pleinement les consommateurs contre des pratiques de cette nature, repose sur la circonstance que, par rapport à un professionnel, le consommateur se trouve dans une position d'infériorité, en ce qu'il doit être réputé économiquement plus faible et juridiquement moins expérimenté que son cocontractant.
Par suite, c'est compte tenu de l' importance primordiale que revêt la notion de consommateur et que les interprétations de la directive sont conçues essentiellement dans l'optique du consommateur en tant que destinataire et victime de pratiques commerciales déloyales que la CJUE considère que « les affiliés de BKK, qui doivent à l'évidence être considérés comme des consommateurs au sens de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, risquent d'être induits en erreur par les informations trompeuses diffusées par cet organisme en les empêchant de faire un choix en connaissance de cause (voir considérant 14 de cette directive) et en les amenant ainsi à prendre une décision qu'ils n'auraient pas prise en l'absence de telles informations, ainsi que le prévoit l'article 6, paragraphe 1, de la même directive.
Dans ce contexte, le caractère public ou privé de l'organisme en cause de même que la mission spécifique que ce dernier poursuit sont dépourvus de pertinence . » (point 37).
La CJUE choisit par conséquent, « de reconnaître à un organisme tel que BKK la qualité de «professionnel» au sens de ladite directive » et de considérer que « relève de son champ d'application personnel un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général, telle que la gestion d'un régime d'assurance maladie ».
Pour autant, encore une fois la CJUE prend soin de préciser que « L'interprétation qui précède est en effet la seule qui est de nature à assurer le plein effet à la directive sur les pratiques commerciales déloyales, en garantissant que, conformément à l'exigence d'un niveau élevé de protection des consommateurs, les pratiques commerciales déloyales soient combattues de manière efficace ».(point 39) (souligné pour nous).
D'ailleurs, à aucun moment, l'avocat général BOT dans ses conclusions, ne remet en cause l'état du droit communautaire sur la question du monopole de la sécurité sociale, se contentant de rappeler notamment que s'agissant du droit de la concurrence, la Cour a exclu de la notion d'entreprise les entités qui exercent des activités poursuivant un but exclusivement social, telles que celles qu'exercent les caisses allemandes d'assurance maladie ou les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale (Arrêt du 16 mars 2004, AOK Bundesverband e.a. C 264/01, C 306/01, C 354/01 et C 355/01, Rec. p. I 2493).
Le travail de lobbying aussi bien interne que communautaire par rapport à la question reste donc entier.
Par Me. PHILIPPOT