par TITJO » jeu. févr. 07, 2013 10:39 am
LE GICARE
- Tiens, une entré gratuite pour le GICARE… je vais peut-être aller y faire un tour
- Ah, tu ne seras pas là pour l’anniversaire de ton fils ? Tu pars encore « pour ton boulot » !
Je préfère abandonner le sujet que d’improviser une réplique qui aurait pour seul intérêt de faire croire que j’ai raison. Car entre ma femme et moi, cette stratégie un peu hypocrite des escapades « professionnelles » pour changer d’air, ce n’est qu’un jeu implicite. Elle sait que périodiquement je me soulage de la pression du quotidien en traçant une grande diagonale sur le cahier de rendez-vous, puis j’inscris au feutre « séminaire de machin-santé à trifouilli-les-oies» ou « symposium incontournable à Un-peu-plus-loin » ou « stage de magithérapie fumeuse de L’autre côté des Vosges». Au retour, j’empile distraitement dans un classeur tous les diplômes bidons, les certificats de participation, les attestations de présence, les validations exotiques dont mes rustiques patients ne soupçonnent pas le bien fondé et dont ils n’ont d’ailleurs rien à cirer. J’y retrouve des confrères, souvent les mêmes, qui me ressemblent un peu, désireux de multiplier et de prolonger les pauses-café, impatients de s’attabler à midi autour d’un « menu inclus dans les frais ». Bref, le GICARE, ou même encore une inutile manif à Paris, c’est à ranger dans ce type d’évasion métaprofessionnelle.
Passé la mi-octobre, il est urgent de prendre une décision, de me situer dans ce projet qui dans mes pensées ne dépasse pas le niveau du dérisoire. En plus, la puissante berline que j’avais gardée pour tracter la caravane vient de rendre l’âme. Il ne reste plus, pour le moment, que la 204 Junior à trois portes sur laquelle mon épouse est prioritaire…
De jour en jour, je sens la culpabilité émerger. Suis-je un lâche qui s’esquive au prochain rendez-vous familial ? Est-ce tout ce que j’ai à offrir comme image du père bienveillant ? Un papa qui se réfugie sans arrêt derrière son boulot et occupations dérivées pour justifier son éclipse aux événements important de la vie familiale ? Ne me trompe-je pas sur l’essentiel ? Nous le savons tous, trancher, décider, ça fait du bien !
Le vendredi matin, en faisant mes visites, je passe devant le collège où s’instruisent mes deux enfants. J’arrête mon bolide sur le parking. Je monte en courant vers le secrétariat où je manque de bousculer le principal.
- Bonjour kiné. Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je venais justement pour te voir.
- Un problème ?
- Non, non : juste te prévenir que mes deux rejetons seront absents demain matin.
- Tu as un motif ?
- Oui : sortie pédagogique familiale à Paris.
- Oh ! rien que ça ? Soit. Ils me raconteront ça la semaine prochaine.
A mon retour à la maison, j’explique le programme à mon épouse. On part tous les quatre au GICARE demain matin très tôt, de façon à arriver à Versailles vers neuf heures, à quatre cent kilomètres de chez nous. Je vais basculer la banquette arrière de la 204 et les gosses s’installeront comme ils peuvent sur des tapis de gym et quelques couvertures.
- C’est sûr, c’est une bonne surprise, s’enthousiasme ma femme, mais tu sais, Nico espère qu’on va l’emmener au Flunch pour son anniversaire. Il veut montrer sa carte d’identité et avoir un gâteau gratuit.
- Ah oui, le gâteau gratuit décongelé à la sauvette. Bon, on cherchera un Flunch le soir, sur la route du retour.
Par chance, cette journée de fin octobre nous offrit un climat d’été indien. Nous consacrâmes la matinée à explorer le château du roi Soleil. Puis, pour midi, il était temps de poursuivre le programme touristique concentré, et nos pas nous menèrent vers la tour Eiffel, le Champs de Mars pour aboutir dans la véranda d’une pizzéria sur les champs Elysée. L’après- midi, je proposai une visite du Petit Palais où les enfants s’éclatèrent sur les jeux pédagogiques qui s’offraient à leurs regards émerveillés. Mon épouse me surveillait du coin de l’œil. Elle regardait périodiquement sa montre.
- Ton GICARE, il ferme à quelle heure ?
- Rassure-toi, détends-toi, on est bien ici et c’est ça qui compte.
Quand nous sommes retournés à la bagnole, la capitale avait déjà allumé ses vitrines et ses réverbères. Il faisait frais et les vitres se sont tout de suite embuées. Un ralentissement décourageant nous guettait sur la rive qui mène vers Vincennes où nous parvînmes bien après la fermeture du salon. Il nous fallait encore débusquer le Flunch planqué au cœur de la banlieue Est, avec ses gâteaux d’anniversaire décongelés à la sauvette. Mais qu’importe, les rendez-vous avec le bonheur, ça ne se manque pas. Il y a vingt ans.
LE GICARE
- Tiens, une entré gratuite pour le GICARE… je vais peut-être aller y faire un tour
- Ah, tu ne seras pas là pour l’anniversaire de ton fils ? Tu pars encore « pour ton boulot » !
Je préfère abandonner le sujet que d’improviser une réplique qui aurait pour seul intérêt de faire croire que j’ai raison. Car entre ma femme et moi, cette stratégie un peu hypocrite des escapades « professionnelles » pour changer d’air, ce n’est qu’un jeu implicite. Elle sait que périodiquement je me soulage de la pression du quotidien en traçant une grande diagonale sur le cahier de rendez-vous, puis j’inscris au feutre « séminaire de machin-santé à trifouilli-les-oies» ou « symposium incontournable à Un-peu-plus-loin » ou « stage de magithérapie fumeuse de L’autre côté des Vosges». Au retour, j’empile distraitement dans un classeur tous les diplômes bidons, les certificats de participation, les attestations de présence, les validations exotiques dont mes rustiques patients ne soupçonnent pas le bien fondé et dont ils n’ont d’ailleurs rien à cirer. J’y retrouve des confrères, souvent les mêmes, qui me ressemblent un peu, désireux de multiplier et de prolonger les pauses-café, impatients de s’attabler à midi autour d’un « menu inclus dans les frais ». Bref, le GICARE, ou même encore une inutile manif à Paris, c’est à ranger dans ce type d’évasion métaprofessionnelle.
Passé la mi-octobre, il est urgent de prendre une décision, de me situer dans ce projet qui dans mes pensées ne dépasse pas le niveau du dérisoire. En plus, la puissante berline que j’avais gardée pour tracter la caravane vient de rendre l’âme. Il ne reste plus, pour le moment, que la 204 Junior à trois portes sur laquelle mon épouse est prioritaire…
De jour en jour, je sens la culpabilité émerger. Suis-je un lâche qui s’esquive au prochain rendez-vous familial ? Est-ce tout ce que j’ai à offrir comme image du père bienveillant ? Un papa qui se réfugie sans arrêt derrière son boulot et occupations dérivées pour justifier son éclipse aux événements important de la vie familiale ? Ne me trompe-je pas sur l’essentiel ? Nous le savons tous, trancher, décider, ça fait du bien !
Le vendredi matin, en faisant mes visites, je passe devant le collège où s’instruisent mes deux enfants. J’arrête mon bolide sur le parking. Je monte en courant vers le secrétariat où je manque de bousculer le principal.
- Bonjour kiné. Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je venais justement pour te voir.
- Un problème ?
- Non, non : juste te prévenir que mes deux rejetons seront absents demain matin.
- Tu as un motif ?
- Oui : sortie pédagogique familiale à Paris.
- Oh ! rien que ça ? Soit. Ils me raconteront ça la semaine prochaine.
A mon retour à la maison, j’explique le programme à mon épouse. On part tous les quatre au GICARE demain matin très tôt, de façon à arriver à Versailles vers neuf heures, à quatre cent kilomètres de chez nous. Je vais basculer la banquette arrière de la 204 et les gosses s’installeront comme ils peuvent sur des tapis de gym et quelques couvertures.
- C’est sûr, c’est une bonne surprise, s’enthousiasme ma femme, mais tu sais, Nico espère qu’on va l’emmener au Flunch pour son anniversaire. Il veut montrer sa carte d’identité et avoir un gâteau gratuit.
- Ah oui, le gâteau gratuit décongelé à la sauvette. Bon, on cherchera un Flunch le soir, sur la route du retour.
Par chance, cette journée de fin octobre nous offrit un climat d’été indien. Nous consacrâmes la matinée à explorer le château du roi Soleil. Puis, pour midi, il était temps de poursuivre le programme touristique concentré, et nos pas nous menèrent vers la tour Eiffel, le Champs de Mars pour aboutir dans la véranda d’une pizzéria sur les champs Elysée. L’après- midi, je proposai une visite du Petit Palais où les enfants s’éclatèrent sur les jeux pédagogiques qui s’offraient à leurs regards émerveillés. Mon épouse me surveillait du coin de l’œil. Elle regardait périodiquement sa montre.
- Ton GICARE, il ferme à quelle heure ?
- Rassure-toi, détends-toi, on est bien ici et c’est ça qui compte.
Quand nous sommes retournés à la bagnole, la capitale avait déjà allumé ses vitrines et ses réverbères. Il faisait frais et les vitres se sont tout de suite embuées. Un ralentissement décourageant nous guettait sur la rive qui mène vers Vincennes où nous parvînmes bien après la fermeture du salon. Il nous fallait encore débusquer le Flunch planqué au cœur de la banlieue Est, avec ses gâteaux d’anniversaire décongelés à la sauvette. Mais qu’importe, les rendez-vous avec le bonheur, ça ne se manque pas. Il y a vingt ans.