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encore une petite nouvelle

Posté : mar. déc. 20, 2016 5:47 pm
par TITJO
bonjour les vég'amis,

des problèmes de santé me confinent dans mon bureau - alors je trie des documents numériques et aussi j'écris - ça fait passer le temps et je redécouvre des trucs enfouis dans des recoins du disque dur. Je les regroupe dans un recueil titré "les draps-mémoire".

en voici une extrait pour vous distraire un peu:


PANIER !

Malou, notre chatte un peu obèse, s’est éparpillée vers le bas de mon lit et m’empêche de m’allonger. Pas grave. Je me tourne sur le côté gauche et je plie mes jambes en chien de fusil. Ainsi je ne la sens plus, elle ne me gêne plus. Mon corps s’abandonne et ma vigilance s’étiole. Puis insidieusement, après avoir fermé les yeux, je sens que s’opère le sortilège. Ma conscience glisse vers un autre temps, vers un soir de mon enfance. Je m’étais installé à ce moment dans la même position, avec les mêmes appuis, les mêmes contacts avec les draps… Et en plus, j’avais le cœur gros.

Car je le sais aujourd’hui, la journée que je venais de vivre allait avoir des conséquences sur toute ma vie, sur l’homme que je suis devenu.

Quand je fus inscrit au CP de l’école communale, l’ancien directeur se montrait très peu. Il me paraissait très âgé et sa présence dans l’établissement, je la qualifierais aujourd’hui de «transcendante ». Ce petit homme rabougris toujours vêtu d’un costume austère sortait rarement de son bureau. Son apparition dans l’une ou l’autre classe devenait un événement sacramentel, on dirait à présent un « buzz ». Et si par malheur on arrivait en retard, il fallait d’abord qu’on se présente devant lui pour obtenir un billet d’excuse à fournir à l’instituteur. Rien que cette étape qui se jouait dans un climat de tribunal me terrorisait.

Son successeur, jeune, athlétique et un peu abondant autour de la ceinture, se montrait beaucoup plus souvent et semblait apporter un souffle de modernité dans ses rapports avec les élèves. Il lui arrivait même lors de certaines récrés de nous provoquer avec un ballon de basket, comportement audacieux qui avait de quoi surprendre dans les années cinquante. Je pense que le basket, c’était son sport favori. Puis un matin, il est passé dans toutes les classes pour annoncer que pendant les récréations à venir, il allait procéder à des sélections. Car selon lui l’école devait avoir ses propres équipes qui rencontreraient des équipes d’autres écoles. Il nous avait tellement remontés que nous étions tous impatients d’affronter cette épreuve.

Quand ce fut le tour de ma classe, l’instituteur du CM1, qui était par ailleurs le fils de l’ancien directeur et aussi fiancé à la maîtresse du CE1, nous installa dans la cour en file indienne, face au poteau de basket. Le dirlo arriva avec un ballon qu’il faisait rebondir devant lui. Avec son imposante carrure étriquée dans un costume bon marché, sa chemise blanche et sa cravate sombre, le front moite et une cigarette pendant au coin de sa bouche, avec sa voix forte et un accent auvergnat rocailleux, il nous fascinait. Il était le boss. Et aussi à cette époque, il représentait le modèle du manager sportif.

Le test était simple mais décisif. Chacun à notre tour nous devions tenter de marquer un panier, sans élan et sans dribbler. Certains élèves y parvenaient par chance ou par habileté. Le maître inscrivait leur nom sur un calepin. Ceux-là allaient constituer la future équipe qui représenterait l’école lors des tournois. Ils seraient entraînés par un vrai professeur de sport et ils seraient considérés différemment par les enseignants et les autres élèves. Une sorte d’élite de l’école.
Mon tour de lancer le ballon arriva. Au même moment le téléphone retentit dans le bureau du directeur et machinalement lui et l’instituteur tournèrent la tête dans cette direction.

De mon côté, bien concentré et motivé, par un geste précis qui me surprit moi-même, je réussis à marquer. Puis, très fier, je regardai vers le patron pour accueillir son verdict et ses compliments. Mais il avait encore la tête tournée vers son bureau. Il semblait préoccupé et n’avait pas vu mon exploit. Puis il revint à son programme de sélection et clama « au suivant !». Les copains protestèrent. Ils dirent que je devais être inscrit sur la liste. Mais rien n’y fit.


- « Je n’ai rien vu ! au suivant et silence dans le rang ! »


Et voilà. Voilà comment en un bref instant une blessure s’est ouverte dans mon cœur d’enfant et ne s’est jamais refermée. Une plaie à la mesure de ce que ces adultes représentaient pour moi. Je les avais crus honnêtes, justes, infaillibles et bienveillants. Toutes ces certitudes s’effondraient d’un seul coup. Bien sûr pour eux ma déception ne comptait pas. Mais à partir d’une sélection que je trouve maintenant bien arbitraire, des hommes responsables venaient d’anéantir une part de mes rêves, de fermer certaines portes à mon avenir. Peut-être de mon côté ai-je aussi réagi de manière irraisonnée, exclusive et primaire, mais mon attrait pour les sports d’équipe et notamment avec un ballon s’est définitivement conclu.

On m’avait rejeté, refusé, exclu. Et ma rancœur s’est pérennisée. Jamais plus je n’ai pris du plaisir à jouer en équipe avec un ballon, ni même simplement à regarder d’autres jouer, que ce soit sur un terrain improvisé, sur un stade et bien entendu à la télé. J’ai définitivement pris la distance et je ne sais pas si ça ne me manque beaucoup.

Plus tard, dans ma carrière de kiné, j’ai eu l’occasion de traiter des joueurs de différents niveaux. Qu’il s’agisse d’amateurs adhérents au club du village ou de professionnels très populaires, je les prenais en charge tels qu’ils étaient, blessés dans leur chair et inquiets pour la suite de leur carrière. Et j’avais autant d’égard pour chacun que pour la vieille dame qui s’était fracturé le poignet en voulant accrocher ses rideaux. Pas de vénération obséquieuse de ma part ; on s’appliquait vaillamment ensemble pour réparer la casse. Ils pouvaient tranquillement deviser avec moi sur de sujets généraux, loin des vestiaires du stade. Je les écoutais parler d’eux, de leur famille, de leurs enfants, de leurs rêves et de leurs frustrations, pour découvrir qui ils étaient réellement en dehors des matchs et des projecteurs. Car j’en suis persuadé, la confidence entre un praticien et son patient favorise la complicité et aide à progresser. Et nous n’abordions le sujet du sport que pour des raisons techniques dont la rééducation devait tenir compte. J’ai rencontré des types formidables et aussi des minables, comme il y en a partout ailleurs, mais aucun n’a pu me réconcilier avec le sport d’équipe. Je supporterai ce petit handicap, cette meurtrissure de l’enfance jusqu’à mon dernier jour.

Après tout, cette sélection ne fut-elle pas à voir comme un de ces croche-pied qui rendent sinueuse la voie de notre destinée ?

Oh, oh, à présent je crois qu’il faut que je m’abandonne au sommeil et me voici à nouveau dans mon lit de maintenant (à côté de ma femme qui ronfle grave). Pourtant, à l’évocation de ce souvenir, je me pose encore une question.

« A partir de quels signes peut-on dire qu’on est un sportif ? »

Si j’aime et je pratique la natation, le VTT, le tir à l’arc, la marche, souvent en solitaire et sans projet de défis, suis-je quand même un peu … sportif ?

Mais maintenant il est trop tard pour réfléchir. Des réponses viendront une autre fois. Malou est partie s’installer sur la banquette du salon et j’ai toute la place pour moi tout seul. Alors je peux m’allonger comme je veux et lâcher prise. Je m'abandonne au sommeil.

Bonne nuit. :wink:

Re: encore une petite nouvelle

Posté : jeu. déc. 22, 2016 11:25 pm
par corina
Tres joliment ecrit....on a tous eu cette frustration etant enfant ( qu'elle soit sportive , amoureuse ou scolaire) et qu'on traîne meme devenus adultes ...

Re: encore une petite nouvelle

Posté : ven. déc. 23, 2016 12:15 pm
par boud
Corina a raison :wink: ...moi, c'est scolaire en CM1 ou 2 ( mémoire défaillante :roll: ), la directrice m'a demandé de donner mon prix d'excellence à une autre élève parce qu'elle pleurait, j'ai accepté mais je ne vous dit pas la colère de ma mère !!!
Bonnes Fêtes à tous, TITJO, écris-nous une histoire de Noël, il parait que c'est d'actualité :wink: et sache que moi aussi, je ronfle grave :oops: :oops: :oops:

Re: encore une petite nouvelle

Posté : dim. déc. 25, 2016 12:40 am
par ptit chat
super !!! et çà fait du bien de lire çà le soir de noel ...
donc comme on dit au spectacle : 1 autre ! 1 autre !! :D

et pas trop grave les problemes de santé ??

Re: encore une petite nouvelle

Posté : dim. oct. 20, 2019 2:22 am
par Thierri006
L' humour est différent en fonction du continent, du pays, de la région, des groupes , des individus , et quelques fois au sein même de l' individu .

Re: encore une petite nouvelle

Posté : ven. nov. 01, 2019 2:18 pm
par Jeanne05
Thierri006 a écrit :L' humour est différent en fonction du continent, du pays, de la région, des groupes , des individus , et quelques fois au sein même de l' individu .
c'est tellement vrai. j'en avais conscience, mais voyageant bcp maintenant, on voit a quoi point humour, a perception peut être différente

Re: encore une petite nouvelle

Posté : mer. nov. 27, 2019 1:17 am
par Serena
Bonjour,

Merci pour la lecture ! très agréable à lire !