J'aimais bien l'été
Posté : mar. juil. 13, 2010 11:18 pm
Oui, cela est vrai, j'aimais bien l'été.
Depuis plusieurs années, avec mon épouse nous sommes seuls dans notre grande, trop grande, maison.
L'été était l'occasion de retrouver toute la famille:les enfants et conjoints (es) ainsi que nos petits enfants et nos frères et soeurs qui venaient se ressourcer à la campagne. pendant deux mois la joie la bonne humeurs, les cris, les chants enchantaient notre demeure.
Mais voilà.
50 ans
J’ai 50 ans.
Il ne m’en reste moins d’un à vivre.
J’aurai rejoint mes ancêtres bien avant d’avoir soufflé mes 51 bougies.
Avec un peu de chance j’ai pu cueillir les cerises de mon jardin mais le mois de novembre me semble bien incertain.
Les cèpes et autres champignons d’automne n’ont rien à craindre de moi.
Je partirai par la faute d’un crabe qui, par vengeance pour tous ceux que j’ai pu déguster, me ronge les entrailles et dissémine au gré de sa mauvaise humeur des descendances encore plus terribles.
Le foie, les reins, les poumons, les intestins et même les os sont atteints.
Seul le cerveau et le coeur sont épargnés ce qui me permet de penser et d’aimer.
L’amour !!!
Je n’ai pas trop mal, pas encore.
On me propose de tailler dans la masse, un peu partout, afin d’extraire le maximum de pourriture, puis de m’injecter des poisons qui ralentiront l’évolution lente mais inéluctable de ce monstre qui finira de toutes façon par avoir ma peau.
Je n’ai pas peur de partir, il faut le faire un jour ou l’autre.
Je n’ai pas peur mais ça me gêne.
A dire vrai, cela me contrarie mortellement.
J’ai encore tant de pays à visiter, tant de personnes à rencontrer, tant de choses à partager.
J’aimerai vraiment faire tout cela et ensuite j’aurai toute la vie pour mourir.
Je n’ai jamais demandé à venir au monde, mais dès lors que je suis né et que j’ai eu une ébauche de raisonnement j’ai fermement décidé d’y rester.
Au tout début, la vie, arrogante, hautaine, faisait de moi ce qu’elle voulait, me manipulait au gré de ses caprice. Mais peu à peu, à force d'observations quotidiennes, d'analyses de son comportement et de dissections ses moindres faits et gestes, j’appris à en tirer parti.
Un jour, profitant d’un de ses moments de faiblesses je la saisis à bras le corps, l’embrassai de toutes mes forces sans jamais desserrer mon étreinte et, faisant de celle qui croyait me tenir, ma prisonnière, sans l’once d’un espoir d’une libération anticipée.
Ces premiers temps de captivité furent difficiles, tant pour elle que pour moi.
Je ne savais comment la manier, l’utiliser; elle était capricieuse et profitait largement de mon inexpérience pour tenter de fuir à la moindre occasion.
Pourtant, peu à peu, nous nous habituâmes l’un à l’autre, apprirent à nous connaître, tant et si bien qu’une relation de confiance mutuelle finit par s’installer entre nous deux.
Elle savait que je ne la maltraiterais pas, que je prendrais soin d’elle au point de m’enquérir quotidiennement de son état et de modifier mon attitude en fonction de celui-ci.
Je savais qu’elle ne tenterait plus de fuir l’hôte prévenant que j’étais.
Cette confiance se transforma progressivement en une amitié sincère.
Nous devînmes des complices inséparables, puis, de cette amitié, naquit une magnifique histoire d’amour que nous avons consommions, depuis, jusqu’à l’ivresse, sans aucune modération.
Nous avons aimé avec passion, voyagé et visité les plus belles régions du monde, chanté, bu les meilleures boissons, dégusté les meilleurs mets, cela, sans jamais un instant de lassitude.
Ma vie, je dis ma vie comme si elle m’appartenait, s’est toujours faite belle, a illuminé mon existence de couleurs, de joie, de bonheur, d’amour et de bien d’autres infinies douceurs : elle était la chose la plus précieuse au monde que je possédais.
De mon côté, je l’ai toujours chéri, ai pris soin d’elle en permanence et l’ai ménagée sans pour autant l’entraîner dans une routine insipide.
Au contraire, je la stimulais aussi régulièrement que possible afin qu’elle soit tout les jours plus excitante.
Nous coulions ainsi des jours passionnants, unis l’un à l’autre jusqu’au jour où, vieux, seul, et n’ayant plus aucun rêve, je lui aurai dit :
« Vas, vas ma belle, vas. Je te rends ta liberté.
Regarde moi ; vieux, ridé, à bout de souffle, je ne peux à peine bouger.
Regarde moi sans aucune complaisance.
Que puis-je encore t’apporter ? Rien !
Toi, tu es toujours aussi belle, toujours aussi radieuse.
Regarde autour de toi et vois ceux que tu pourrais rendre aussi heureux que je l’ai été.
Vas, ma belle. Vas et ne te retourne pas.
Vas et n’aies aucun regret. Je n’en n’ai aucun.
Tu m’as rendu heureux, je t’en serais éternellement reconnaissant.
Quelqu’un d’autre t’attend pour jouir de ce même bonheur.
Vas ma belle, vas et ne pleure pas. Je ne pleurerai pas non plus.
Je te regarderai partir serein, heureux pour celui qui me remplacera, qui t’aimera comme je t’ai aimé et qui te chérira comme je t’ai chéri.
Je serais heureux pour lui comme pour toi et sans aucune jalousie. »
Alors, elle se serait retournée et se serait éloignée doucement, sans un mot, sans regarder en arrière.
Je serai resté là, les yeux ouverts le plus longtemps possible, afin de l’admirer une ultime fois avant de m’endormir d’un sommeil éternel.
Voilà ce que croyais, ce que j’espérais.
Mais cela est tout autre.
C’est elle qui veut me quitter avant l’heure et je la vois tous les jours manigancer avec la grande faucheuse.
Quelles tractations font-elles sans se dissimuler ?
Le mois, la semaine, le jour, l’heure du départ ?
L’une me regarde avec nostalgie mais bien décidée, l’autre avec envie et sûre d’elle.
Je ne me ferai pas charcuté. Je refuserai tous leurs poisons.
Un mois de plus ou de moins, puisqu’il faut partir autant le faire dignement.
Je n’ai jamais demandé à venir au monde, je ne demande pas le quitter ce foutu monde, mais puisqu’il doit en être ainsi c’est moi qui déciderai du jour, du lieu et de la façon dont je le partirai !
Cela ne se fera pas dans un hôpital sinistre et déshumanisé.
Je n’en connais pas la date mais je n’attendrai pas que la souffrance soit trop insupportable.
Je ne sais pas quand mais je sais comment je partirai.
Le choix ne s’est pas fait par élimination, mot qui me semble pourtant le plus approprié en telle circonstance, mais il m’est simplement apparu comme une évidence.
Je me pendrai nu à un arbre.
Oui, je me pendrai car, après avoir joui de la vie, c’est la mort, cette vaniteuse qui me donnera mon ultime plaisir pour qu'une grande mandragore, dont les baies reflèteront mon souvenir par nuit de pleine lune, pousse sous ma potence.
Non, je ne regrette rien, non je n'ai pas peur de partir, mais je hais cet été qui a sonné mon glas.
Depuis plusieurs années, avec mon épouse nous sommes seuls dans notre grande, trop grande, maison.
L'été était l'occasion de retrouver toute la famille:les enfants et conjoints (es) ainsi que nos petits enfants et nos frères et soeurs qui venaient se ressourcer à la campagne. pendant deux mois la joie la bonne humeurs, les cris, les chants enchantaient notre demeure.
Mais voilà.
50 ans
J’ai 50 ans.
Il ne m’en reste moins d’un à vivre.
J’aurai rejoint mes ancêtres bien avant d’avoir soufflé mes 51 bougies.
Avec un peu de chance j’ai pu cueillir les cerises de mon jardin mais le mois de novembre me semble bien incertain.
Les cèpes et autres champignons d’automne n’ont rien à craindre de moi.
Je partirai par la faute d’un crabe qui, par vengeance pour tous ceux que j’ai pu déguster, me ronge les entrailles et dissémine au gré de sa mauvaise humeur des descendances encore plus terribles.
Le foie, les reins, les poumons, les intestins et même les os sont atteints.
Seul le cerveau et le coeur sont épargnés ce qui me permet de penser et d’aimer.
L’amour !!!
Je n’ai pas trop mal, pas encore.
On me propose de tailler dans la masse, un peu partout, afin d’extraire le maximum de pourriture, puis de m’injecter des poisons qui ralentiront l’évolution lente mais inéluctable de ce monstre qui finira de toutes façon par avoir ma peau.
Je n’ai pas peur de partir, il faut le faire un jour ou l’autre.
Je n’ai pas peur mais ça me gêne.
A dire vrai, cela me contrarie mortellement.
J’ai encore tant de pays à visiter, tant de personnes à rencontrer, tant de choses à partager.
J’aimerai vraiment faire tout cela et ensuite j’aurai toute la vie pour mourir.
Je n’ai jamais demandé à venir au monde, mais dès lors que je suis né et que j’ai eu une ébauche de raisonnement j’ai fermement décidé d’y rester.
Au tout début, la vie, arrogante, hautaine, faisait de moi ce qu’elle voulait, me manipulait au gré de ses caprice. Mais peu à peu, à force d'observations quotidiennes, d'analyses de son comportement et de dissections ses moindres faits et gestes, j’appris à en tirer parti.
Un jour, profitant d’un de ses moments de faiblesses je la saisis à bras le corps, l’embrassai de toutes mes forces sans jamais desserrer mon étreinte et, faisant de celle qui croyait me tenir, ma prisonnière, sans l’once d’un espoir d’une libération anticipée.
Ces premiers temps de captivité furent difficiles, tant pour elle que pour moi.
Je ne savais comment la manier, l’utiliser; elle était capricieuse et profitait largement de mon inexpérience pour tenter de fuir à la moindre occasion.
Pourtant, peu à peu, nous nous habituâmes l’un à l’autre, apprirent à nous connaître, tant et si bien qu’une relation de confiance mutuelle finit par s’installer entre nous deux.
Elle savait que je ne la maltraiterais pas, que je prendrais soin d’elle au point de m’enquérir quotidiennement de son état et de modifier mon attitude en fonction de celui-ci.
Je savais qu’elle ne tenterait plus de fuir l’hôte prévenant que j’étais.
Cette confiance se transforma progressivement en une amitié sincère.
Nous devînmes des complices inséparables, puis, de cette amitié, naquit une magnifique histoire d’amour que nous avons consommions, depuis, jusqu’à l’ivresse, sans aucune modération.
Nous avons aimé avec passion, voyagé et visité les plus belles régions du monde, chanté, bu les meilleures boissons, dégusté les meilleurs mets, cela, sans jamais un instant de lassitude.
Ma vie, je dis ma vie comme si elle m’appartenait, s’est toujours faite belle, a illuminé mon existence de couleurs, de joie, de bonheur, d’amour et de bien d’autres infinies douceurs : elle était la chose la plus précieuse au monde que je possédais.
De mon côté, je l’ai toujours chéri, ai pris soin d’elle en permanence et l’ai ménagée sans pour autant l’entraîner dans une routine insipide.
Au contraire, je la stimulais aussi régulièrement que possible afin qu’elle soit tout les jours plus excitante.
Nous coulions ainsi des jours passionnants, unis l’un à l’autre jusqu’au jour où, vieux, seul, et n’ayant plus aucun rêve, je lui aurai dit :
« Vas, vas ma belle, vas. Je te rends ta liberté.
Regarde moi ; vieux, ridé, à bout de souffle, je ne peux à peine bouger.
Regarde moi sans aucune complaisance.
Que puis-je encore t’apporter ? Rien !
Toi, tu es toujours aussi belle, toujours aussi radieuse.
Regarde autour de toi et vois ceux que tu pourrais rendre aussi heureux que je l’ai été.
Vas, ma belle. Vas et ne te retourne pas.
Vas et n’aies aucun regret. Je n’en n’ai aucun.
Tu m’as rendu heureux, je t’en serais éternellement reconnaissant.
Quelqu’un d’autre t’attend pour jouir de ce même bonheur.
Vas ma belle, vas et ne pleure pas. Je ne pleurerai pas non plus.
Je te regarderai partir serein, heureux pour celui qui me remplacera, qui t’aimera comme je t’ai aimé et qui te chérira comme je t’ai chéri.
Je serais heureux pour lui comme pour toi et sans aucune jalousie. »
Alors, elle se serait retournée et se serait éloignée doucement, sans un mot, sans regarder en arrière.
Je serai resté là, les yeux ouverts le plus longtemps possible, afin de l’admirer une ultime fois avant de m’endormir d’un sommeil éternel.
Voilà ce que croyais, ce que j’espérais.
Mais cela est tout autre.
C’est elle qui veut me quitter avant l’heure et je la vois tous les jours manigancer avec la grande faucheuse.
Quelles tractations font-elles sans se dissimuler ?
Le mois, la semaine, le jour, l’heure du départ ?
L’une me regarde avec nostalgie mais bien décidée, l’autre avec envie et sûre d’elle.
Je ne me ferai pas charcuté. Je refuserai tous leurs poisons.
Un mois de plus ou de moins, puisqu’il faut partir autant le faire dignement.
Je n’ai jamais demandé à venir au monde, je ne demande pas le quitter ce foutu monde, mais puisqu’il doit en être ainsi c’est moi qui déciderai du jour, du lieu et de la façon dont je le partirai !
Cela ne se fera pas dans un hôpital sinistre et déshumanisé.
Je n’en connais pas la date mais je n’attendrai pas que la souffrance soit trop insupportable.
Je ne sais pas quand mais je sais comment je partirai.
Le choix ne s’est pas fait par élimination, mot qui me semble pourtant le plus approprié en telle circonstance, mais il m’est simplement apparu comme une évidence.
Je me pendrai nu à un arbre.
Oui, je me pendrai car, après avoir joui de la vie, c’est la mort, cette vaniteuse qui me donnera mon ultime plaisir pour qu'une grande mandragore, dont les baies reflèteront mon souvenir par nuit de pleine lune, pousse sous ma potence.
Non, je ne regrette rien, non je n'ai pas peur de partir, mais je hais cet été qui a sonné mon glas.