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une petite nouvelle campagnarde

Posté : dim. nov. 21, 2010 8:18 am
par TITJO
De l’or sous sa fenêtre


Nous connaissons tous des gaillards qui se plaignent de l’injustice de la vie, persuadés que le destin les malmène et favorise les autres. Mais se souvient-on encore d’Albert ? C’est vrai qu’il y a si longtemps…Il avait hérité d’un petit train de culture qu’il exploitait sans conviction ni talent, récoltant ce que la nature parvenait à produire malgré son manque d’ardeur. Bien sûr il contemplait les fermes voisines d’un œil un peu jaloux quand on y engrangeait de riches moissons, du foin abondant qui nourrissait des troupeaux grassouillets.
Un jour qu’il passait pour vérifier la croissance d’une pièce de céréales, il poussa un juron qui résonna jusqu’à l’horizon et arracha de sa tête le béret crasseux qu’il projeta violemment sur des taillis. Sa culture ressemblait à une lande hirsute. On aurait pu compter les épis qui restaient encore dressés. D’abord il ne comprit pas et commença par accuser on ne sait qui de malveillance, peut-être ce gros paysan du même village qui lui proposait régulièrement de lui racheter ses terres. Mais non, c’était un homme loyal et plutôt accommodant. Albert pénétra dans la parcelle sinistrée et comprit qu’il était malheureusement victime d’un fléau menaçant n’importe quel cultivateur. Une invasion de lapins, sans doute attirés par des agapes faciles et tranquilles. Ils pullulaient et ne cherchaient même pas à s’éloigner à son passage. Les rongeurs proliféraient presqu’à vue d’œil et se portaient fort bien.
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Re: une petite nouvelle campagnarde

Posté : dim. nov. 21, 2010 8:19 am
par TITJO
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Il s’en retourna vers le village en maugréant, maudissant le sort qui le confinait dans la misère, car il n’aurait quasiment rien à moissonner. C’est à ce moment qu’apparut la silhouette d’un vagabond qui venait à sa rencontre. On ignorait presque tout de lui, où et de quoi il vivait, et ce qu’il faisait quand il disparaissait pendant de longues périodes. Quand il parvint au niveau d’Albert, il le saisit par une épaule pour l’inciter à s’arrêter, le regarda amicalement et enfin se mit à parler :
- Je sais ce qui vous arrive, brave homme, la guigne. Bien sûr je sais aussi qu’il est trop tard, que votre saison est perdue, mais si vous voulez, je peux déjà, bénévolement et rapidement, vous débarrasser de tous ces rongeurs insatiables.
- Pour un étranger, vous en savez des choses ! Mais ils sont très nombreux ! Comment ferez- vous ?... Enfin, c’est d’accord. Servez-vous. Le plus vite sera le mieux.

Quelques jours plus tard, le petit paysan retourna à son champ. Et à sa grande surprise, tous les lapins avaient disparu. Il ne revit plus le croquant qu’il aurait volontiers remercié, ne serait-ce qu’avec une bouteille de mirabelle.

Une année passa.

Puis un jour qu’Albert s’apprêtait pour partir dans ses cultures, il vit une curieuse petite roulotte de berger traverser le village, tirée par un âne. Lorsque l’attelage arriva devant lui, il reconnut le clochard qui lui fit un petit signe cordial.

Albert s’étonna :
- La fortune semble vous avoir souri, depuis qu’on ne s’est vu !
- La fortune, n’exagérons pas ! C’est simplement que j’ai pu m’acheter cette carriole en vendant les lapins dont je vous ai débarrassé. En fait, la récolte intéressante et lucrative de votre champ, l’an passé, c’était plutôt les lapins.
- Je n’y avais pas pensé, mais finalement cela semble plus rentable et moins fatigant que la culture, je pourrais essayer.
- Bonne idée, brave homme, mais pour les attirer, un bon conseil, faites tout de même pousser des plantes qui vont les tenter et les nourrir pour qu’ils se multiplient et restent sur votre pièce cultivée.
- Merci du conseil ! A bientôt peut-être.

Le clochard reprit sa route et personne ne le vit pendant un an.
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Re: une petite nouvelle campagnarde

Posté : dim. nov. 21, 2010 8:21 am
par TITJO
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Lorsqu’il passa à nouveau devant chez Albert, celui-ci lui fit signe de s’arrêter. Il voulait le remercier car un volailler voulait lui acheter tous les lapins capturés sur le champ avec un bon prix à condition qu’ils soient livrés dépecés.
- J’ai déjà commencé à préparer la commande.
- Fort bien, et que faites-vous des fourrures ?
- Je ne sais pas. Je les entasse dans une remise pour probablement les brûler toutes en même temps.
- Je veux bien m’en charger bénévolement. Si vous êtes d’accord, je passerai périodiquement les récupérer pour vous soulager de cette corvée.
- Vous êtes sympa. Passez quand vous voulez.
Le mystérieux vagabond vint régulièrement récolter les peaux de lapin. Puis un jour il gara devant chez Albert une roulotte plus jolie et plus grande, avec quatre roues et tractée par un solide cheval.
- Il semble que vos affaires prospèrent, ami voyageur. Pourtant vous ne vendez plus de lapin, à présent !
- Des lapins, non ! Mais leurs peaux, oui ! Elles sont de bonne qualité et j’en fais commerce avec un fourreur qui les apprécie beaucoup. Mon seul travail est de les collecter chez vous pour lui livrer plutôt que de les brûler. Et ça paie bien.
- Pas possible ! Pourquoi n’ai-je pas pensé à tout ça avant ? Vous comprenez, ne m’en veuillez pas, mais désormais je vais négocier la viande et les peaux tout seul. Et je n’aurai alors plus rien à vous faire débarrasser.
- Je m’y attendais, brave homme, et je suis déjà heureux de vous avoir aidé à vous reconvertir. A propos, Je vois que sur l’usoire devant chez vous, un imposant monticule de fumier de lapin s’entasse contre la façade. ça n’est pas très décoratif, sans parler de l’odeur fétide. Il semble que vous ne savez pas quoi en faire…
- Ah non ! Cette fois j’ai compris ! Vous voudrez m’en débarrasser aussi bénévolement. Puis vous trouverez une combine pour le convertir en or, et peut-être racheter bientôt, qui sait, le château du village. Désolé, mais je garde ce fumier qui, si vous proposez de vous en « occuper », doit être encore plus précieux que les lapins eux-mêmes.
- Va savoir… tant pis pour moi. Et bonne chance à vous, brave homme !
- A propos, vous en auriez fait quoi, de mon fumier ?
- Qu’importe, puisqu’à vous écouter, vous devez déjà avoir des idées, non ?

Le vagabond reprit sa route errante et personne ne le vit plus jamais. Quant à Albert, il se mit à réfléchir, à spéculer, mesurer, soupeser, renifler sa pourrissoir. On pouvait le voir assis sur une souche à côté de « son trésor » pendant des heures, comme s’il le veillait, même la nuit, même sous la pluie. Il en négligea ses tâches habituelles au point de ne plus pouvoir en vivre. Puis un jour le maire lui rendit visite.

- Tu sais, Albert, même dans notre petite commune où tout le monde t’aime bien, il y a des limites à la stupidité. Ton champ que tu ne cultives même plus n’attire plus les lapins qui s’égaient sur les parcelles voisines où ils causent des dégâts. Et ton « tas d’or », comme tu dis, dépare la rue et sent mauvais. Si tu ne le retires pas, la commune devra s’en occuper, à tes frais, sans lui reconnaître la moindre valeur, ce qui serait vraiment un comble.
FIN - mais bientôt une autre :wink:

Re: une petite nouvelle campagnarde

Posté : dim. nov. 21, 2010 1:52 pm
par ManuPatout
Merci Titjo.
Je vais de ce pas causer aux lapins des enfants et nettoyer la litière ! :wink:
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Re: une petite nouvelle campagnarde

Posté : lun. nov. 22, 2010 12:37 pm
par G2
Esope, les évangélistes (non pas Linda bande d'incultes), La Fontaine, Titjo même combat :D

Re: une petite nouvelle campagnarde

Posté : lun. nov. 22, 2010 3:23 pm
par marie laure
ManuPatout a écrit :Merci Titjo.
Je vais de ce pas causer aux lapins des enfants et nettoyer la litière ! :wink:
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Tu peux faire des colliers de perles noires Manu mais je ne suis pas ACHETEUSE...et je n'en veux pas pour cadeau :mrgreen:

Re: une petite nouvelle campagnarde

Posté : mar. nov. 23, 2010 11:39 am
par marco
Merci Titjo,
la première idée qui me vient c'est que tu parles de la kinésithérapie et de ses différentes mentalités..... :mrgreen:
ton poignet??
ta retraite??
ton remplaçant??

Re: une petite nouvelle campagnarde

Posté : mar. nov. 23, 2010 4:58 pm
par Annie
Merci, Titjo le magicien!
Tu réussis à tranformer les crottes de lapins en matière d'or à raconter!

On attend les autres avec impatience! Pas les crottes, les histoires!!:D