encore une nouvelle campagnarde

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TITJO
         
         
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LA CORRESPONDANTE

- Calme-toi, Régis ! Le train n’est pas encore arrivé en gare, il n’est pas nécessaire de courir jusqu’au quai !

Pas facile de se contrôler. Non, pas facile. Car une seule formule se répétait en boucle dans sa tête d’ado, la petite phrase qui depuis quelques saisons concluait chaque Email que lui adressait sa correspondante allemande.

« Herzliche Küsse sendet dir deine Ilse »

« Ton Ilse t’envoie de tendres baisers ». Pour lui, c’était clair, tout allait commencer par une étreinte passionnée dés la première rencontre réelle. Il pensait que pour une fois un quai de gare ne serait plus le cadre pathétique des adieux mais celui des coups de foudre. Il voulait être là avant l’arrivée du train en provenance de Francfort, la voir descendre du wagon, l’aider galamment à sortir ses bagages, lui souhaiter la bienvenue en allemand.

Le moment était venu ! La motrice pénétra crânement sous les voûtes et l’interminable convoi s’immobilisa tout le long de la voie. Les portières s’ouvrirent pour laisser déferler en quelques instants les voyageurs des voitures qui envahirent le quai avant de se précipiter vers l’escalier de dégagement où ils semblaient s’engloutir dans les profondeurs de la terre.

Mais où est-elle ? Etait-ce le bon train ? Ne l’a-t-elle pas manqué au départ ? Alors que son cœur s’était emballé à l’annonce de l’entrée en gare, il se retrouva tout déboussolé. Il ne l’avait pas trouvée et la gare était à nouveau déserte. Son regard dépité s’abandonna au défilement des wagons qui s’ébranlaient déjà en accélérant vers l’autre sortie. Il ne savait plus quoi penser et leur confia son désespoir, se délesta vers eux d’un scénario intense qui ne s’était pas accompli. Et c’est pourquoi il ne vit pas sa mère qui le rejoignait, chargée de deux valises, côtoyée par une souriante jeune fille elle-même encombrée d’un plantureux sac à dos.
...
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Message par TITJO »

- Coucou, Régis-de-la-lune ! Tu peux peut-être nous aider. Je te présente Ilse qui est sortie du wagon de queue.

Pire que ça, tu meurs ! Le lauréat des accueils ratés vous salue bien ! Le jeune homme sentit tout son corps se liquéfier à l’approche de sa correspondante. Son visage fleuri par l’acné s’empourpra jusqu’au bout des oreilles. Il s’entendit bredouiller quelques mots.

- Gute… Guten….
- Bonjour Régis, je suis Ilse, annonça-t-elle en lui tendant la main, et je vais te demander de ne plus prononcer un seul mot en allemand pendant tout mon séjour chez toi, d’accord ?
- Comme tu t’exprimes bien ! Je … je peux te faire une bisette ?
- Une bisette ? Was ist…. Heu… qu’est-ce que c’est ?
- Ferme tes yeux un instant s’il te plait.

Et Régis posa délicatement ses mains sur les épaules d’Ilse et l’embrassa furtivement sur la joue gauche. Il s’apprêtait à la lâcher mais elle garda les yeux fermés et lui déclara en riant :
- Tu es bien un français ! Bon, j’ai deux joues, n’oublie pas l’autre !

La maman écourta les effusions, désigna les valises que son fils s’empressa de saisir et ils regagnèrent la maison. Dans l’auto, Ilse s’assit à côté d’elle et Régis s’était placé juste derrière la passagère, contemplant sa chevelure noire qui ondulait en phase avec les mouvements de la voiture. Dés leur arrivée, l’invitée fut installée à l’étage dans une vaste chambre dont les deux fenêtres offraient une superbe vue sur la vallée de la Seille, bordée en fond par les reliefs insolites des côtes d’Arry et de Mousson.
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Message par TITJO »

Au Dîner, Ilse rappela que c’est elle qui avait la première souhaité un correspondant français habitant justement dans ce petit coin de Lorraine. Et sans vouloir froisser Régis, ce n’était pas en découvrant sa photo dans les listes ni en exprimant une préférence pour le genre masculin qu’elle l’avait choisi.

- Pour quelle raison souhaitais-tu finalement te retrouver ici ? demanda le père.
- Monsieur Demonrac, des événements dramatiques ont opposé nos pays dans le passé. Certains disent que pour se réconcilier, il faut savoir oublier. Pour beaucoup d’Allemands, et notamment de ma génération, il faut au contraire avoir le courage d’affronter les souvenirs. Et c’est en venant ici, parmi vous, que je crois pouvoir réaliser ce devoir.

Les Demonrac furent très impressionnés par cet aveu. Eux-mêmes ne se sentaient plus très concernés par les horreurs du dernier grand conflit dont ils n’avaient d’ailleurs pas souffert car ils étaient nés après la guerre. Ils proposèrent à leur invitée de lui faire découvrir pendant son séjour tous les musées, les sites, les monuments qu’elle souhaitait.

Selon les idées apparemment éclairées de la jeune fille, toute la famille se mobilisa pour un programme de visites quasiment inédites pour les hôtes français. En quelques jours seulement, elle les entraîna de découvertes en découvertes. Et s’ils traînaient quelque peu les pieds lors des premières sorties, ils finirent par trouver un réel intérêt à rencontrer des lieux répertoriés et même d’autres moins connus qui racontaient le passé, les immergeaient dans l’Histoire. La curiosité culturelle d’Ilse les fascinait secrètement. Qui était donc cette croustillante brunette de quinze ans ? Qu’était-elle venue faire chez eux ?

Un jour que la porte de sa chambre était ouverte, Régis se permit de la rejoindre. Elle était assise sur le bord d’une fenêtre ett regardait vers l’extérieur avec des jumelles.
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Message par TITJO »

- Bonjour Ilse, tu observes quelques choses, des rapaces peut-être ?
- Non, pas du tout. Je cherche à situer des calvaires à l’ouest du village.
- Vraiment ? Si cela t’intéresse, il me semble qu’il existe un répertoire des calvaires, chapelles et autres petits monuments qu’on pourrait retrouver sur Internet.
- Bonne idée ! Alors si tu veux bien m’imprimer des documents de ce genre, on pourrait s’en servir pour organiser une petite promenade autour de la commune. A moins que tu ne connaisses bien les environs…
- Aller recenser des calvaires, non, je n’en ai jamais eu l’idée. Tu trouves ça rigolo ?
- Rigolo… comme tu dis, je ne crois pas, mais intéressant, c’est certain !
- Comme tu voudras. Puisqu’il fait beau, on peut prévoir ça pour cet après-midi…

Et c’est ainsi que, guidés par la carte imprimée situant les calvaires, les deux ados partirent explorer la campagne. A chaque station, Ilse examinait les petits édifices, écartait les touffes de plantes qui masquaient les inscriptions, prenait des photos, des mesures, puis inscrivait des signes sur le plan. Régis la regardait sans comprendre. Pourquoi donc cette jeune étrangère se passionnait à ce point pour des croix de pierre ?
- Tu prépares des étapes pour un prochain rallye-promenade ou tu joues à la chasse aux trésors ?
- Je cherche simplement des repères. Et je me sers des calvaires car, dans la campagne, alors que beaucoup de constructions sont détruites ou transformées, eux sont plantés là depuis parfois très longtemps.
- Et ça va te servir à quoi ?
- Patience, tu le sauras bientôt et si tout se passe bien, tu ne seras pas déçu. Simplement j’aimerais que tu ne parles de nos recherches à personne.
- Ah ! un secret ! que nous partageons à seulement nous deux, ça me plait !
- Nous allons pouvoir rentrer. Je te fais confiance et pour ça tu as droit à une bisette.
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Message par TITJO »

De retour à la maison, Ilse étala le plan sur la table du séjour, emprunta une règle et un crayon, puis commença à tirer des traits qui reliaient des points correspondant à certains calvaires, ceux qui après un examen sur place, avaient été marqués d’une petite croix. Quand madame Demonrac les rejoignit dans la pièce, la jeune fille enroula le document, le glissa furtivement dans la main de Régis et proposa d’aller aider la maîtresse de maison à préparer le dîner.

Le lendemain, les deux adolescents retournèrent dans la campagne avec le plan et ses mystérieux tracés géométriques dont les lignes se croisaient à peu près au même endroit. C’est précisément à l’intersection de ces lignes que la jeune allemande entraîna son correspondant français. Ils se retrouvèrent face à un épais fourré, difficile à pénétrer, où visiblement personne ne mettait jamais les pieds.
- Tu veux qu’on rentre là-dedans ? Mais c’est presque impossible, on va déchirer nos vêtements et se griffer partout !
- Hi, hi ! Chez nous aussi les garçons manquent un peu de courage… allez, suis-moi. On peut se faire un petit passage en écartant les ronces avec des branches.

Ilse passa devant. Elle tentait aussi de dégager le sol en le frottant avec ses espadrilles.
- Tu cherches quelque chose par terre ?
- Oui, une grosse pierre plate de forme ovale.
- Hé bien, vive le hasard, je crois que je suis debout dessus, attends.

Le garçon s’accroupit et de ses mains écarta les feuilles mortes, les touffes d’herbe, la terre accumulée et finalement il frotta pour dégager un pavé légèrement bombé mais bel et bien ovale. Il en resta médusé et s’assit par terre. La jeune fille s’installa tout à côté de lui, posa son bras sur ces épaules et lui déclara :
- Ça y est papy, on a trouvé, on est des bons ! tu as gagné une nouvelle bisette.
Régis ne savait toujours pas ce qu’ils venaient de trouver et pourquoi soudain elle l’appelait papy. A ce moment précis cela lui semblait accessoire. Car il sentait contre lui respirer ce petit bout de femme qui le tenait par le cou et lui déposait un délicat baiser sur la joue. N’était-ce pas cela le trésor à découvrir à deux, blottis parmi des buissons inhospitaliers ?
- C’est bien, nous pouvons rentrer, et ce soir j’aurai quelque chose à vous annoncer à tous les trois.
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Message par TITJO »

Au dîner, la maman prit la parole :
- Les enfants, vous partez faire de grandes promenades tous les deux dans la campagne. Sans vouloir être vieux jeu, j’espère simplement que vous vous tenez bien et que nous pouvons vous faire confiance…
- Madame Demonrac, c’est vrai que j’ai entraîné Régis dans ces sorties mais ce fut en tout bien tout honneur. Il m’a aidé à trouver ce que je cherchais.
- Tu cherchais quelque chose ici, si loin de chez toi ? questionna le père.
- Exactement. Mais avant d’y revenir, je dois vous donner quelques explications. Pendant l’occupation allemande, les habitants de votre village furent expulsés vers le Sud de la France et ils partirent dans l’urgence et laissant pratiquement tout sur place, à la merci des pilleurs, des soldats, des personnes installées ici pour remplacer ceux qui fuyaient. A leur retour après la libération, les villageois ne retrouvèrent pratiquement rien, c’était prévisible. Mon grand-père, mobilisé et envoyé en France, a été affecté ici, dans votre commune, avec quelques militaires dont il avait le commandement. Et c’est justement chez vous, dans cette belle maison, qu’il logeait.

Les parents et leur fils avaient posé leurs couverts. Ils ne mangeaient plus et écoutaient leur invitée avec avidité. Des souvenirs d’enfance, des propos tenus par ses parents revenaient dans la tête de monsieur Demonrac qui était né et avait toujours vécu dans cette demeure campagnarde. Il se souvenait que son père lui avait dit qu’il avait fallu tout reconstruire, repartir à zéro dans des habitations complètement vidées de leur contenu.

Ilse s’accorda une petite gorgée d’eau et poursuivit son récit.
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Message par TITJO »

- Mon grand-père nous a quittés cet hiver. Il n’avait qu’un fils, mon père, qui est mort quand j’étais toute petite. Je suis la dernière personne vivante de sa lignée et nous étions très complices. Quand il me parlait de la guerre, les larmes lui montaient aux yeux. En dernier, il a insisté pour me confier un secret et une mission qui m’ont fait venir jusqu’ici en Lorraine. Car il fut témoin des expulsions, des maltraitances, des actes ignobles que les conquérants s’autorisent aux dépens des vaincus. L’histoire l’a habillé d’un uniforme, mais comme beaucoup d’autres soldats il restait au fond de lui un jeune homme bousculé par un destin qui n’était pas celui auquel il se préparait, contraint à endosser un rôle qu’il condamnait complètement. Mon séjour s’achève demain et je confie à Régis le privilège d’aller ouvrir une petite crypte que grand-papa avait découverte par hasard dans un champ et dont il avait localisé l’emplacement grâce aux calvaires du voisinage. Il suffira de soulever la pierre ovale pour accéder à l’entrée. Avec son équipe et au risque de graves représailles, ils y ont camouflé toutes sortes de documents, des biens privés ramassés dans les maisons, l’église, la mairie, des objets de valeur ou des souvenirs. Craignant jusqu’au bout d’être soupçonnés de recel, ou encore que des profiteurs s’emparent du contenu de cette cache si l’endroit était révélé, lui et ses compagnons d’arme ont préféré se taire et il n’est jamais revenu en France. Puis se sachant proche de la fin, il m’a demandé de restituer les biens épargnés à leurs propriétaires ou à leurs descendants, à vous, à vos voisins, au village. Ce serait bien si Régis pouvait venir chez moi aux prochains congés pour me raconter les résultats de cette révélation…
********************************************


voilà - on en est là - il y aura certainement une suite - et là je vous propose de m'aider à l'imaginer ---> toutes vos idées seront les bienvenues!
je les attends - merci 8)
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Wahoooo!!! :o :o :o
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Message par Annie »

Voilà notre prochain prix Goncourt tout trouvé!!
On attend la suite avec impatience, Titjo!!
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G2
         
         
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Message par G2 »

d'autant plus méritoire que Titjo tape avec un doigt :D
Si Dieu existe, il faudra qu'il ait une bonne excuse.
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Message par Annie »

G2 a écrit :d'autant plus méritoire que Titjo tape avec un doigt :D

Oui mais il a bien plus qu'un doigt de talent!!
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Re: encore une nouvelle campagnarde

Message par Annie »

Allons bon!! J'ai cru voir double!! Véga double mes messages sans que je le demande! Faudrait arrêter le Beaujolais nouveau si tôt le matin!! :lol:
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TITJO
         
         
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Message par TITJO »

...SUITE...

- Tiens, tiens, le fils Demonrac ! Bonjour gamin !
- Bonjour père Krossar, toujours en forme ?
- Comme tu le vois, le ciel et l’enfer m’ont oublié, et je ne m’en plains pas.

Eugène Krossar est né en Lorraine allemande, juste à la veille de la première guerre. Il se plaisait à dire qu’il aurait bientôt plus d’années de retraite que d’activité. Les villageois l’appréciaient pour sa sagesse et son immense culture. Rien ne semblait échapper à son regard pétillant à l’ombre de sourcils hirsutes qui débordaient de ses lunettes en écaille. Souvent les soirs d’été, il s’assoyait sur le banc de pierre adossé à la façade de sa maison, la dernière du village. Il ne manquait jamais de poser sa blague à tabac en maroquinerie décolorée par l’usage, une grosse boite d’allumettes et une très vieille pipe en buis de Cogolin à sa gauche, et un bock de jus de pomme bien frappé à sa droite. Il pouvait ainsi contempler paisiblement la vallée de la Seille jusqu’au crépuscule.
- On ne te voit pas souvent marcher dans le village. Ton grand Régis t’aurait-il donné le bon exemple ?
- Pourquoi dites-vous cela ?
- Je l’ai vu passé bien des fois aux derniers congés, en compagnie d’une jeune fille qui ressemblait à Romy Schneider et qui en avait surtout l’accent. Une petite correspondante allemande, sans doute…
- Oui, elle est rentrée chez elle mais nous a ouvert les yeux sur bien des choses.
- Ça ne m’étonne pas. Elle a entraîné ton fils, je me demande pourquoi, vers un lieu qu’on nommait autrefois « la narine du Malin ».
- Et bien sûr, vous savez de quoi il s’agit, n’est-ce pas ?
- Bof, un peu, la curiosité. Tu sais, j’ai fait pratiquement toute ma carrière à la préfecture de Metz, et quand j’avais besoin de documents, ma position rendait mes recherches plus commodes. Et crois-moi si tu veux, j’en ai bien profité. Allez, viens t’assoir à côté de moi. Je t’offre un petit moment de découverte, donc de bonheur. Fais juste attention à ne pas renverser mon bock.

Le père de Régis pris place sur le banc et s’apprêta à écouter le vieillard qui reprit calmement :

- Adosse-toi bien et laisse ton regard se perdre dans la campagne qui s’endort devant toi. Nous restons ici, mais nous nous rendons dans son passé, comme si tu venais de t’assoir sur un chronolithe…
- Un chronolithe ?
- Oui, une « pierre du temps ». Tu ne connais pas ? Nous en parlerons une autre fois. Car ce soir nous avons rendez-vous au bord de « la narine du malin ».
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Message par TITJO »

...

Eugène tendit son bras en direction d’un fourré de taillis situé entre le village et l’ancienne voie ferrée qui reliait autrefois Metz à Château-Salins et demanda à Demonrac s’il s’y était déjà intéressé.

- Ma foi non, même quand, enfant, j’allais jouer avec les autres gamins, cet endroit ne nous attirait pas car il n’était pas très accueillant.
- Ce fourré a pourtant une histoire très ancienne. En effet il existe sous ses buissons un accès à un antre naturel, probablement dû à une diaclase, et modelé par des veines d’eau souterraines aujourd’hui taries. Les anciens qui vivaient ici depuis très longtemps, je parle de la préhistoire, n’ont probablement jamais pu l’utiliser comme refuge, d’abord parce que dans ce passé lointain cela devait être encore inondable, et surtout, ceux qui y pénétraient n’en ressortaient plus ! C’est ainsi que progressivement cet endroit fut déclaré maudit, comme s’il entraînait directement ses audacieux explorateurs vers le continent des morts, l’enfer, le royaume de Satan.

Krossar guetta si le charme du conte opérait sur son auditeur et, satisfait, bourra sa pipe en souriant et l’enflamma avant de poursuivre.
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...

- Bien plus tard, nous dirons avant et pendant le moyen âge, l’ordre divin imprégna considérablement notre culture. On mêlait Dieu à toutes les circonstances de la vie, monarchie, guerres, fléaux, épidémies, naissances, trépas, bonheur, malheur, destinée et, et aussi, bien sûr, la justice. Quelle meilleure justice que celle du ciel ? La renommée funeste de l’antre fut donc récupérée par nos ancêtres pour éprouver l’innocence des justiciables d’une façon qui nous parait bien cruelle aujourd’hui. Car déjà en ces temps il n’était pas toujours facile d’établir une réelle culpabilité, et donc, on s’en remettait au fameux jugement divin, sacré et infaillible. Une sorte de puits avait été aménagé à cet endroit pour faciliter la manœuvre. Lorsqu’un suspect niait les faits qui lui étaient reprochés, il passait au test de la « narine du Malin ». Il était ligoté à une corde et assis sur un barre de bois transversale, comme les tire-fesses des stations de ski et on le faisait ainsi descendre profondément dans la cavité où il devait séjourner le temps d’une messe dite pour son salut. Puis il était remonté à la surface. S’il était mort, c’est que Satan l’avait reconnu coupable et avait reniflé son âme pour le punir, tu saisis donc le sens de la formule « narine du Malin ». Selon des rapports encore nichés dans les bibliothèques de vieux monastères sur ces époques naïves, la majorité des suspects auraient péri lors de cette épreuve. Nous comprenons aujourd’hui ce qui se passait en réalité. Et, entre nous, cela permet aussi de concevoir un Dieu un peu moins immanent dans les affaires de l’humanité. Les produits organiques amoncelés et croupissants dans le fond dégagent de fortes quantités de gaz comme le monoxyde de carbone ou encore le sulfure d’hydrogène, le fameux H2S, qui sent l’œuf pourri. Nous savons que ces émanations, plus lourdes que l’oxygène, envahissent certains endroits comme les caves, les égouts et bien entendu certaines grottes et exposent ceux qui les inhalent à une mort rapide par asphyxie. Le plus simple, quand on s’aventure dans certains endroits suspects, c’est de tenir une bougie allumée. Si elle s’éteint, c’est qu’il n’y a pas d’oxygène et il faut vite retourner à l’air libre.
- C’est amusant, vous concluez votre anecdote comme si vous vouliez personnellement m’adresser un avertissement. Croyez-vous que je vais bientôt tenter une visite dans cette « narine du Malin » ?
- Je préfère simplement te prévenir, fiston, j’ai vu Régis et sa complice rôder vers ce fourré et cela nous ramène à une époque plus proche de la nôtre. Bien sûr avec le temps les rituels de la justice céleste furent abandonnés, mais l’antre garda tout de même sa mauvaise réputation, et comme pour s’en protéger, peu après la Révolution, les villageois décidèrent d’obturer l’orifice et de planter des végétaux suffisamment dissuasifs pour que personne ne tente d’y retourner.
- Et depuis, rien ne s’est passé ?
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...

- Hé si ! Après la défaite de dix-huit-cent-soixante-dix, l’Alsace-Moselle est devenue allemande. A ce propos, si tu tombes par hasard sur les « contes du lundi » d’Alphonse Daudet, tu y trouveras des chroniques stupéfiantes sur cette guerre. Je peux te prêter le bouquin si tu veux. Bon. Je reviens à notre propos. En très peu de temps notre région a vécu un bouleversement spectaculaire et, reconnaissons-le aujourd’hui, pas toujours négatif. De grands édifices ont été construits, des voies de communications améliorées, des piscines aménagées dans des villages, comme à Delme, où les autochtones n’en avaient jamais vu de pareilles. L’administration fut totalement réformée sur le modèle allemand jusque dans les écoles où le français était devenu une langue étrangère ! Nos nouveaux dirigeants se mêlaient de tout, s’informaient de tout, fouillaient dans les archives, arpentaient, remembraient, rebaptisaient tous les lieux dans leur langue. C’est en tentant de restaurer certains captages d’eau qu’ils ont retrouvé la « narine du Malin ».
- Ils y ont trouvé de l’eau ?
- Non. En exhumant cet orifice et en voulant l’explorer sans précaution, au mépris des histoires de malédictions qu’ils reléguaient à la superstition paysanne, les premiers qui descendirent furent remontés sans vie. Même les villageois n’en revenaient pas. De toute façon les veines étaient trop profondes, instables en débit, et ne justifiaient pas de trop importants travaux de puisage. Il fut, parait-il, simplement décidé de profiter de cette enfractuosité pour aménager une chambre souterraine dans l’idée d’y stocker des réserves soi-disant alimentaires, mais va savoir… Il n’existe pas de documents officiels à ce sujet, juste des rumeurs. Et ça fait bien longtemps que plus personne ne s’occupe de ça, depuis que les derniers archéologues en herbe ont avoué ne plus retrouver l’accès en surface.
- Il existe donc vraiment un local caché sous ces fourrés ?
- Ah, fiston, ta question m’excite, tu ne devines pas à quel point !

A SUIVRE...
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