C’est vrai qu’il faisait déjà très sombre lorsque la petite troupe s’engagea sur le chemin qui mène au bois. Notre héros n’était pas vraiment rassuré, mais il ne voulait pas le montrer, surtout devant Sylvie et Colette. Il s’arrangeait tout de même pour rester sans cesse entouré des autres garçons pour éviter de côtoyer directement l’obscurité environnante pendant qu’ils le gavaient enfin d’une rafale d’informations sur ce gibier énigmatique :
- C’est un mammifère, poilu comme une chèvre.
- Oui, et grand comme un chien de berger.
- Il mange de tout, mais surtout il adore les framboises.
- Il a des petites cornes sur le front et de grands sourcils noirs.
- Il se déplace à quatre pattes uniquement à flanc de coteau.
- Pourquoi ça ? demanda Pascal.
- Tu ne sais même pas ça ? s’esclaffa un des garnements.
- Et en plus il ne peut se déplacer que dans un sens, toujours le même, précisa un autre gamin, car ses deux pattes de gauche sont plus courtes que celles de droite, si bien que s’il passe par exemple au-dessus du village, il va forcément dans le sens de Tincry vers Bacourt, flanc gauche vers le sommet et flanc droit vers la vallée où il ne peut d’ailleurs jamais descendre. C’est un animal uniquement de montagne et il parait que dans certaines régions c’est l’inverse, il tourne seulement dans l’autre sens, comme les aiguilles de la pendule. Tu comprends maintenant comment on peut le capturer : il suffit de l’inciter à se retourner et hop, il bascule ! Et c’est plus facile de l’approcher pendant les nuits sans lune.
- Et là on fait quoi pour l’attraper ?
- Dés qu’il est tombé, tu profites de sa maladresse pour bondir et l’envelopper dans la grande bâche à foin que tu as apportée, puis on arrive immédiatement pour t’aider. Tu verras s’il s’agit d’un mâle amoureux par la couleur rouge des poils de sa crinière. Mais de mémoire du village, aucun chasseur de dahu n’a encore eu la chance d’une telle rencontre.
- Mais on ne cherche pas à l’attraper tous ensemble ?
- Si, si, mais chacun son rôle : nous, on va s’éloigner pour le rabattre en tapant sur le tronc des arbres avec des bâtons pour qu’il se rapproche de toi, tu seras la sentinelle, car c’est toi qui doit l’affronter tout seul si tu veux devenir notre pote.
Tout en papotant, les enfants parvinrent à une petite clairière inclinée où un ruisselet se déversait dans une petite mare.
- Nous sommes arrivés sur le lieu de l’embuscade, annonça le meneur. Tu te déchausses et tu t’assois sur la berge en mettant tes pieds dans l’eau. Attention elle est fraiche ! Tu ferais bien d’aller faire pipi avant de t’installer.
- Et pourquoi les pieds dans l’eau ?
- Le dahu a un odorat très développé. S’il sent l’odeur de tes pieds, il soupçonnera le piège et se sauvera. A présent tu étales tes framboises fraiches en contre bas vers ta gauche, sur la pente devant toi. Rappelle-toi que notre bestiole ne peut pas se mouvoir sur un terrain plat.
- Et comment je fais pour qu’elle se retourne et perde l’équilibre ?
Un petit rouquin s’approcha avec une fleur de pissenlit. Il coupa la fleur avec ses ongles et pinça l’extrémité de la tige jusqu’à ce qu’elle se fende sur quelques millimètres puis proclama fièrement :
- Voici un happeau à dahu ! tu places le côté fendu dans ta bouche et tu souffles dans la queue de pissenlit. Le son produit imite en fait le cri de madame dahu. Si ton futur trophée est un mâle amoureux, forcément il va se retourner pour l’entreprendre, ça c’est la nature… Tu attendras donc qu’il s’arrête pour s’empiffrer les framboises, et à ce moment tu souffleras dans ta tige. Attention, la sève de pissenlit, c’est drôlement amer !
Et en guise de démonstration, l’initiateur souffla lui-même dans l’instrument qu’il avait confectionné puis cracha par terre pour se débarrasser de la sève posée sur sa langue. (Chacun ici peut essayer, il suffit d’une tige de fleur de pissenlit.)
Pascal se retrouva ainsi à l’affût, assis les pieds dans l’eau froide, seul dans l’obscurité qui enveloppait maintenant la forêt. Il entendit bien les coups de bâton portés sur les arbres par ses compagnons, mais il lui semblait que ces bruits s’éloignaient, devenaient progressivement moins fréquents. Puis il ne les entendit plus du tout. Il ne perçut plus que la vie propre de la nature : le cri angoissant des oiseaux de nuit, la chute des branches mortes et des pommes de pin qui tombent dans les fourrés, l’appel soudain d’une grenouille au bord de la petite mare, et bien d’autres bruits suspects. Des sentiments de peur, d’abandon, de trahison émergèrent dans sa tête, il enroula la bâche à foin sur ses cuisses, y posa ses mains et son front et essaya de ne plus penser qu’au passage prochain du dahu qu’il ne faudrait surtout pas manquer.
Soudain il entendit comme des pas qui se rapprochaient. Il ne voyait rien mais sentait que cela venait de sa gauche. Cela ne pouvait donc pas être sa proie qui serait forcément arrivée par sa droite. Son sang se glaça brutalement. Il sentit son cœur battre de plus en plus vite, de plus en plus fort. Sous l’effet de la terreur, il lui sembla que tout son corps se paralysait et qu’il ne parviendrait même pas à courir pour échapper à cette menace invisible qui à présent le frôlait. Un grand cri d’effroi resta coincé dans sa gorge quand il sentit comme une main glisser sur son épaule. Il ferma les yeux, résigné à subir son destin.

C’est vrai qu’il faisait déjà très sombre lorsque la petite troupe s’engagea sur le chemin qui mène au bois. Notre héros n’était pas vraiment rassuré, mais il ne voulait pas le montrer, surtout devant Sylvie et Colette. Il s’arrangeait tout de même pour rester sans cesse entouré des autres garçons pour éviter de côtoyer directement l’obscurité environnante pendant qu’ils le gavaient enfin d’une rafale d’informations sur ce gibier énigmatique :
- C’est un mammifère, poilu comme une chèvre.
- Oui, et grand comme un chien de berger.
- Il mange de tout, mais surtout il adore les framboises.
- Il a des petites cornes sur le front et de grands sourcils noirs.
- Il se déplace à quatre pattes uniquement à flanc de coteau.
- Pourquoi ça ? demanda Pascal.
- Tu ne sais même pas ça ? s’esclaffa un des garnements.
- Et en plus il ne peut se déplacer que dans un sens, toujours le même, précisa un autre gamin, car ses deux pattes de gauche sont plus courtes que celles de droite, si bien que s’il passe par exemple au-dessus du village, il va forcément dans le sens de Tincry vers Bacourt, flanc gauche vers le sommet et flanc droit vers la vallée où il ne peut d’ailleurs jamais descendre. C’est un animal uniquement de montagne et il parait que dans certaines régions c’est l’inverse, il tourne seulement dans l’autre sens, comme les aiguilles de la pendule. Tu comprends maintenant comment on peut le capturer : il suffit de l’inciter à se retourner et hop, il bascule ! Et c’est plus facile de l’approcher pendant les nuits sans lune.
- Et là on fait quoi pour l’attraper ?
- Dés qu’il est tombé, tu profites de sa maladresse pour bondir et l’envelopper dans la grande bâche à foin que tu as apportée, puis on arrive immédiatement pour t’aider. Tu verras s’il s’agit d’un mâle amoureux par la couleur rouge des poils de sa crinière. Mais de mémoire du village, aucun chasseur de dahu n’a encore eu la chance d’une telle rencontre.
- Mais on ne cherche pas à l’attraper tous ensemble ?
- Si, si, mais chacun son rôle : nous, on va s’éloigner pour le rabattre en tapant sur le tronc des arbres avec des bâtons pour qu’il se rapproche de toi, tu seras la sentinelle, car c’est toi qui doit l’affronter tout seul si tu veux devenir notre pote.
Tout en papotant, les enfants parvinrent à une petite clairière inclinée où un ruisselet se déversait dans une petite mare.
- Nous sommes arrivés sur le lieu de l’embuscade, annonça le meneur. Tu te déchausses et tu t’assois sur la berge en mettant tes pieds dans l’eau. Attention elle est fraiche ! Tu ferais bien d’aller faire pipi avant de t’installer.
- Et pourquoi les pieds dans l’eau ?
- Le dahu a un odorat très développé. S’il sent l’odeur de tes pieds, il soupçonnera le piège et se sauvera. A présent tu étales tes framboises fraiches en contre bas vers ta gauche, sur la pente devant toi. Rappelle-toi que notre bestiole ne peut pas se mouvoir sur un terrain plat.
- Et comment je fais pour qu’elle se retourne et perde l’équilibre ?
Un petit rouquin s’approcha avec une fleur de pissenlit. Il coupa la fleur avec ses ongles et pinça l’extrémité de la tige jusqu’à ce qu’elle se fende sur quelques millimètres puis proclama fièrement :
- Voici un happeau à dahu ! tu places le côté fendu dans ta bouche et tu souffles dans la queue de pissenlit. Le son produit imite en fait le cri de madame dahu. Si ton futur trophée est un mâle amoureux, forcément il va se retourner pour l’entreprendre, ça c’est la nature… Tu attendras donc qu’il s’arrête pour s’empiffrer les framboises, et à ce moment tu souffleras dans ta tige. Attention, la sève de pissenlit, c’est drôlement amer !
Et en guise de démonstration, l’initiateur souffla lui-même dans l’instrument qu’il avait confectionné puis cracha par terre pour se débarrasser de la sève posée sur sa langue. (Chacun ici peut essayer, il suffit d’une tige de fleur de pissenlit.)
Pascal se retrouva ainsi à l’affût, assis les pieds dans l’eau froide, seul dans l’obscurité qui enveloppait maintenant la forêt. Il entendit bien les coups de bâton portés sur les arbres par ses compagnons, mais il lui semblait que ces bruits s’éloignaient, devenaient progressivement moins fréquents. Puis il ne les entendit plus du tout. Il ne perçut plus que la vie propre de la nature : le cri angoissant des oiseaux de nuit, la chute des branches mortes et des pommes de pin qui tombent dans les fourrés, l’appel soudain d’une grenouille au bord de la petite mare, et bien d’autres bruits suspects. Des sentiments de peur, d’abandon, de trahison émergèrent dans sa tête, il enroula la bâche à foin sur ses cuisses, y posa ses mains et son front et essaya de ne plus penser qu’au passage prochain du dahu qu’il ne faudrait surtout pas manquer.
Soudain il entendit comme des pas qui se rapprochaient. Il ne voyait rien mais sentait que cela venait de sa gauche. Cela ne pouvait donc pas être sa proie qui serait forcément arrivée par sa droite. Son sang se glaça brutalement. Il sentit son cœur battre de plus en plus vite, de plus en plus fort. Sous l’effet de la terreur, il lui sembla que tout son corps se paralysait et qu’il ne parviendrait même pas à courir pour échapper à cette menace invisible qui à présent le frôlait. Un grand cri d’effroi resta coincé dans sa gorge quand il sentit comme une main glisser sur son épaule. Il ferma les yeux, résigné à subir son destin.
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