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TITJO
         
         
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CHAPITRE 2
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L’étang de Fossieux fut aménagé en mille neuf cent quatre vingt dix. Mais pour le laisser se stabiliser, pour permettre aux végétaux et à la faune de s’organiser, de s’équilibrer, son accès aux pêcheurs ne fut autorisé que trois ans plus tard. A cette époque, on ne pouvait attraper que du jeune et menu fretin et ce n’est que quelques années plus tard que les amateurs de grosses prises vinrent installer leur attirail sur les berges. Les carpes, les rousses, les brochets commençaient à atteindre des tailles séduisantes. Le cadre, calme, bien tenu, avec des rives faciles d’accès et des aires de pique-nique accueillantes, auguraient le succès de ce nouveau site d’agrément.
C’est précisément à cette occasion que se déclencha un fléau attribué par les spécialistes au réchauffement de la masse d’eau peu profonde sous l’effet du soleil printanier.
En mille neuf cent quatre vingt seize, alors que la renommée de l’étang de Fossieux semblait acquise, la malédiction qui décourage tous les pêcheurs à la ligne et jette l’opprobre sur la société qui cède les licences de pêche frappa brutalement et sans prévenir. La saison venait tout juste de commencer qu’en très peu de temps toute la marre fut envahie d’algues et de mousses. Quelques pêcheurs tentèrent tout de même de se ménager des espaces libres. Ils lancèrent devant eux des grappins arrimés à des élingues et ramenèrent ainsi des paquets de plantes aquatiques sur la berge. Mais cette opération, si elle leur permettait de poser leur gaule, avait d’abord causé tellement de turbulences que les poissons étaient déjà partis s’abriter plus loin et qu’il n’y avait plus rien à attraper. D’autres moins organisés envoyaient leurs lignes au hasard et les hameçons s’accrochaient dans les herbiers. Bientôt on ne compta plus les hectomètres de fils de pêche cassés abandonnés sous la surface. La rumeur se propagea et les amateurs de friture désertèrent les lieux que l’on aurait cru maudits. Ce fut la crise à la société de pêche locale. On avait tant investi sur ce petit étang paisible… Il fut alors question d’introduire une variété de carpes herbivores pour tenter de résoudre le problème, mais le résultat s’annonçait lent et incertain.

ET voilà qu’à l’arrivée de l’été, l’invasion de végétaux se résorba spontanément et rapidement, sans intervention, comme si des forces invisibles souhaitaient manifester leur secrète présence et leur puissante faculté à agir sur les choses sans même se dévoiler.
Petit à petit les pêcheurs revinrent autour de l’étang et la malédiction fut vite oubliée.
Et tiens, à l’adresse des garnements qui écoutent cette histoire, je citerai encore cet incident de mille neuf cent quatre vingt dix huit : lors d’une battue de chasse, un sanglier déjà blessé courait droit devant lui pour échapper à ses poursuivants. Il a plongé dans l’étang et a disparu. Trois jours plus tard son cadavre flottait à la surface et les services d’équarrissage sont venus le récupérer. S’il est interdit de se baigner, le sanglier nous a rappelé au prix de sa vie que le danger est réel. Mais il est vrai que d’abord il était très pressé et qu’aussi il ne savait pas lire les panneaux d’avertissement plantés sur les berges. Je reprends mon récit.
A la fin de l’année deux mille un, précisément à la saint Jean d’hiver, le sol et même la surface de l’étang étaient gelés. Et tant qu’elle ne fond pas, nous le savons, la glace est imperméable. Le vent a soudain tourné à l’ouest et la pluie tomba en abondance sur la région sans être absorbée dans la terre. Toute l’eau des environs a coulé rapidement des petits reliefs qui nous entourent et s’est collectée ici, naturellement au lieu de l’ancienne fosse de Fossieux, inondant même, en quelques instants, sous un mètre-vingt de crue cette route qui contourne les berges. Rappelez-vous, il était environ dix huit heures, une jeune maman s’est retrouvée bloquée dans sa voiture, avec son bébé, qu’elle a dû installer sur le pavillon du véhicule pour l’épargner jusqu’à ce que les pompiers viennent les secourir. Puis la neige a succédé à la pluie, et le lendemain matin il ne restait plus rien de l’inondation, sauf que, tiens, tiens, la digue avait cédé sur une vingtaine de mètres. Raisonnablement, on peut attribuer cette dégradation à la surcharge temporaire du petit barrage conçu pour seulement la masse d’eau habituelle. Mais les anciens hôtes de la fondrière n’auraient-ils pas profité des caprices du climat pour subrepticement en rajouter et commettre quelques saccages?
De toute façon la digue fut reconstruite.
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CHAPITRE3
Puis un jour, notre ami Paul Colombiès, à l’époque maire de la commune, me raconta cette anecdote insolite.
Un dimanche après midi de janvier deux mille deux, on sonna à sa porte et un de ses garçons couru ouvrir. Une silhouette encapuchonnée, ne dévoilant pas son visage, signala brièvement qu’un cygne était en danger sur l’étang et qu’il fallait tout faire pour le sauver. Le mystérieux messager se retourna sans saluer, s’éloigna rapidement, puis disparu. Paul et ses fils s’habillèrent chaudement et descendirent en voiture vers la berge. Ils aperçurent l’animal prostré sur une petite grève, empêtré dans des fils de pêche, probablement de ceux laissés dans l’eau par des pêcheurs malchanceux pendant l’épisode de l’invasion des algues. Comme il ne se laissait pas approcher et se montrait même menaçant, ils décidèrent d’appeler les pompiers. Rappelons-nous que le cygne appartient aux espèces animales protégées et que renoncer à le secourir relève du délit.
Les secours arrivèrent de Delme qui tentèrent d’abord de piéger le volatile avec un filet. En effet ses ailes étaient quasiment ligotées et il ne pouvait même plus s’envoler. Mais, voulant échapper à tout prix à ses poursuivants, il fila vers la rive et s’éloigna en nageant. Les pompiers qui tractent un zodiac dés qu’il s’agit d’une intervention sur un plan d’eau se lancèrent à sa poursuite. C’est la première fois qu’ils tentaient d’attraper un cygne en le traquant ainsi en hors-bord et leur course épique dura longtemps, jusqu’à ce que la noble créature, vaincue par l’épuisement, se laisse enfin prendre dans le filet.
Mais une fois de retour sur la berge, personne ne réussit à le débarrasser de ses entraves tellement il se débattait et menaçait les plus téméraires avec son bec.
Le sauvetage complet nécessita donc l’intervention de la vétérinaire de garde à Nomeny, très surprise de ce genre d’appel en renfort. La jeune femme, visiblement plus entrainée à s’approcher des animaux, lui injecta immédiatement un sédatif. Puis, patiemment, quand il fut accessible, elle lui retira les fils qui s’étaient entrelacés autour des ailes ; elle délivra aussi le bec et lui soigna la langue coupée.
Quand elle eu fini, ils se contemplèrent un moment tous les deux, les yeux dans les yeux. Le cygne semblait lui signifier qu’il était le messager du peuple invisible, que les humains venaient de subir une mise à l’épreuve attestant de leur ardeur à se mobiliser pour des causes plus humbles que sans cesse transformer la nature par vanité ou intérêt. Il l’informa que l’épreuve était concluante, qu’une cohabitation paisible entre le petit peuple féérique et celui des hommes était possible autour de l’étang, qu’il passerait souvent ici pour veiller au respect réciproque de cette entente. Puis il s’envola lourdement vers l’ouest et disparut derrière ces grands arbres.
Mes amis, quand vous voyez le cygne patrouiller d’une rive à l’autre, ne le dérangez pas, ne l’attirez pas pour lui donner du pain, ça le rendrait gravement malade. Mais contemplez-le, respectez-le et rappelez-vous qu’il est le garant de la paix entre les différents occupants de ce coin tranquille.
Mon histoire est terminée. Je vous remercie de m’avoir écouté.
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bonjour Véga,

maintenant je vous livre l'histoire que j'ai racontée à Prévocourt ce samedi 12 06.

Le cousin Marcel tenait une modeste exploitation agricole dans ce village tranquille, à l’écart des grands axes routiers, accroché au flanc sud-est de la colline du Haut du Mont. Dans les années cinquante, le monde rural vivait surtout de la polyculture, ce qui nécessitait toutes sortes de compétences, de tâches, d’équipements, de structures assez variés.
Lorsque les promenades du dimanche menaient la famille Coilon vers cette petite ferme, c’était pour leur fils Pascal, un enfant de la ville pâlichon et affublé d’épaisses lunettes cerclées, un bonheur sans limite. Bien sûr, à leur arrivée, les hôtes garnissaient la table de victuailles produites à la maison, saucisson fumé, terrines, fruits en bocaux, tarte aux mirabelles, sirops de groseille, et alcool du verger pour les adultes, mais alors que les parents commençaient leurs discussions qui n’intéressaient pas la jeunesse, Pascal se défilait en compagnie de ses deux cousines Sylvie et Colette.
Elles l’entraînaient dans la grange, un bâtiment qui lui paraissait aussi vaste qu’une cathédrale. Ses vieilles charpentes repoussaient très haut la toiture aux tuiles anciennes, dont certaines mal alignées ménageaient des claires voies par lesquelles passaient des rayons de lumière projetés dans la pénombre des greniers. Des senteurs de vieux foin se mêlaient à d’autres plus discrètes de moisi, d’épices et même de terre mouillée. Une charrette à cheval tout en bois était remisée au centre, et tout autour, les murs de pierre décrépis accueillaient comme des parures toutes sortes d’équipements agricoles qui s’étalent aujourd’hui dans les brocantes villageoises : sellerie, outils de culture, vieilles armoires privées de leurs portes aux étagères surchargées de pots, de bidons, d’instruments mystérieux, de boites en fer crasseuses gorgées de vis, de clous et autres petits objets indéterminés. Une immense porte cintrée en chêne ouvrait le local directement vers la rue du village.
A ce moment Colette, la cadette, glissait sa main dans celle de Pascal et lui annonçait sur un ton taquin :
- Cher visiteur, la découverte de la ferme commence par un petit bonjour à Miss Cat qui vient de faire trois chatons. Ce détour coûte deux caramels.
Le gamin plongeait la main dans sa poche replète de friandises…
- Bon, tiens, les voici, allons-y.
- C’est en haut, dans le foin du grenier. Je grimpe derrière toi à l’échelle, comme ça tu ne seras pas tenté de loucher sous ma jupe.
- Et si tu passes devant, ça fait combien de caramels ?
- Garde donc ta monnaie pour la suite des découvertes, petit vicieux !
A leur retour, C’est Sylvie qui récupérait son cousin endimanché et l’époussetait pour débarrasser son blaser bleu marine de la poussière de grenier.
- Maintenant, on va passer par l’écurie des cochons, tu feras attention à ne pas souiller tes belles chaussures cirées. Ça coûte aussi deux caramels.

Et c’est ainsi qu’en parcourant le poulailler pour un chewing-gum, les cages à lapins pour un carambar, la cave à provisions pour une tablette de réglisse, l’étable avec les derniers petits veaux pour une boite de coco en poudre, l’écurie des deux chevaux de trait pour une sucette à la fraise et une à la violette, le potager et la marre pour le petit canif publicitaire qu’il avait fièrement exhibé pendant la visite, Pascal se délestait progressivement des trésors de ses poches qu’il n’oubliait jamais de garnir avant de venir chez ses cousines.

Sylvie avait onze ans, Pascal dix et Colette neuf. Leurs liens de famille remontaient en fait à plusieurs générations et peut-être qu’un féru de généalogie aurait pu établir leur vrai rang de parenté, mais était-ce important ? Une solidarité exemplaire pendant et juste après la dernière grande guerre avait considérablement rapproché leurs parents et grand parents et cela suffisait à leur plaisir de se retrouver.
Lorsque le tour du domaine était terminé, les enfants rejoignaient les adultes dans la cuisine. Il était l’heure de se quitter et cette année-là les parents annoncèrent qu’aux grandes vacances, Pascal viendrait passer quelques jours chez Raymond puis que les deux filles iraient séjourner à leur tour chez les Coilon qui habitaient à Nancy.

à suivre 8)
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L’été venu, le cousin rejoignit les cousines. Et c’est avec enthousiasme qu’il partagea les tâches qui incombaient aux enfants de paysans. Il apprit ainsi à mener le troupeau de vaches entre pâture et étable, soigner les lapins, rentrer les volailles, cueillir les cerises, faner l’herbe coupée, écosser les petits pois, faire des guirlandes de haricots pour les sécher, bouchonner les chevaux, activer la pompe de la pierre à eau pour remplir la bassine de la vaisselle, tordre la lessive à quatre bras avant de la pendre sur le fil tendu le long du potager…et que sais-je encore ?

Chaque soir avant le dîner, Mireille, la femme de Raymond, s’enfermait avec lui dans la cuisine et le lavait tout nu, debout au milieu d’un grand bac, avec de l’eau bien chaude puisée sur le côté de la cuisinière à bois et un gros savon de Marseille, l’essuyait vigoureusement et lui une brosse en chiendent pour démêler ses cheveux. Puis, avant d’aller au lit et pour profiter de la fraîcheur du crépuscule, les trois enfants sortaient rejoindre d’autres villageois de leur âge autour de la fontaine.

C’est ainsi qu’un soir, tout en jetant des regards conspirateurs en direction de Pascal qui contemplait la ronde des chauves souris à l’assaut des hannetons, la bande et les deux cousines s’entendirent pour organiser une chasse au dahu pour la prochaine veillée. Finalement intrigué, le fils Coilon se mêla à la bande qui l’accueillit chaleureusement avec de grands sourires et des tapes dans le dos. La discussion s’engagea aussitôt.
- Hé, les potes, qu’est-ce que vous complotez, là ?
- Comment ça, les potes ? Rétorqua un grand frisé de facilement treize ans aux allures de chef - d’abord on n’est pas Tes potes ! Pour appartenir à la bande, il faut le mériter. As-tu déjà participé à une chasse au dahu ?
- Non, d’ailleurs je n’avais jamais entendu parler de dahu…
A ces mots la petite troupe se livra à un concert de clameurs moqueuses que Sylvie interrompit en agitant ses bras en l’air.
- Ça suffit, les copains, notre cousin est venu ici pour découvrir le monde rural et mieux connaître la campagne. Chez nous on trouve qu’il fait beaucoup d’efforts et il mérite mieux que vos railleries.

- C’est bon, d’accord, lâcha le meneur. Il se reprit donc et s’adressa à lui sur un ton franchement flagorneur.

- Pascal, veux-tu nous rejoindre demain soir pour la chasse au dahu ? Ce sera le moment idéal car il n’y aura pas de lune et il fera très noir.

- J’en suis vraiment très heureux, futurs potes, mais d’abord, c’est quoi un dahu ?

- Nous t’expliquerons tout cela en temps voulu en montant vers le bois. Donc rendez-vous ici demain après le dîner, et n’oublie pas d’apporter une bâche à foin et des framboises fraiches pour la capture.

Pascal s’en retourna à la ferme accompagné de ses deux cousines, très excité, les pressant de mille questions auxquelles elles répondirent simplement que la chasse est une affaire d’hommes et qu’il leur était donc assez difficile d’expliquer ce qu’était un dahu.

Il n’obtint pas plus de lumières auprès des parents des fillettes qui le gratifièrent juste d’un regard amusé. Et la journée suivante lui parut interminable jusqu’aux retrouvailles autour de la fontaine, point de départ de ce safari rural.
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Message par TITJO »

C’est vrai qu’il faisait déjà très sombre lorsque la petite troupe s’engagea sur le chemin qui mène au bois. Notre héros n’était pas vraiment rassuré, mais il ne voulait pas le montrer, surtout devant Sylvie et Colette. Il s’arrangeait tout de même pour rester sans cesse entouré des autres garçons pour éviter de côtoyer directement l’obscurité environnante pendant qu’ils le gavaient enfin d’une rafale d’informations sur ce gibier énigmatique :
- C’est un mammifère, poilu comme une chèvre.
- Oui, et grand comme un chien de berger.
- Il mange de tout, mais surtout il adore les framboises.
- Il a des petites cornes sur le front et de grands sourcils noirs.
- Il se déplace à quatre pattes uniquement à flanc de coteau.
- Pourquoi ça ? demanda Pascal.
- Tu ne sais même pas ça ? s’esclaffa un des garnements.
- Et en plus il ne peut se déplacer que dans un sens, toujours le même, précisa un autre gamin, car ses deux pattes de gauche sont plus courtes que celles de droite, si bien que s’il passe par exemple au-dessus du village, il va forcément dans le sens de Tincry vers Bacourt, flanc gauche vers le sommet et flanc droit vers la vallée où il ne peut d’ailleurs jamais descendre. C’est un animal uniquement de montagne et il parait que dans certaines régions c’est l’inverse, il tourne seulement dans l’autre sens, comme les aiguilles de la pendule. Tu comprends maintenant comment on peut le capturer : il suffit de l’inciter à se retourner et hop, il bascule ! Et c’est plus facile de l’approcher pendant les nuits sans lune.
- Et là on fait quoi pour l’attraper ?
- Dés qu’il est tombé, tu profites de sa maladresse pour bondir et l’envelopper dans la grande bâche à foin que tu as apportée, puis on arrive immédiatement pour t’aider. Tu verras s’il s’agit d’un mâle amoureux par la couleur rouge des poils de sa crinière. Mais de mémoire du village, aucun chasseur de dahu n’a encore eu la chance d’une telle rencontre.
- Mais on ne cherche pas à l’attraper tous ensemble ?
- Si, si, mais chacun son rôle : nous, on va s’éloigner pour le rabattre en tapant sur le tronc des arbres avec des bâtons pour qu’il se rapproche de toi, tu seras la sentinelle, car c’est toi qui doit l’affronter tout seul si tu veux devenir notre pote.

Tout en papotant, les enfants parvinrent à une petite clairière inclinée où un ruisselet se déversait dans une petite mare.
- Nous sommes arrivés sur le lieu de l’embuscade, annonça le meneur. Tu te déchausses et tu t’assois sur la berge en mettant tes pieds dans l’eau. Attention elle est fraiche ! Tu ferais bien d’aller faire pipi avant de t’installer.
- Et pourquoi les pieds dans l’eau ?
- Le dahu a un odorat très développé. S’il sent l’odeur de tes pieds, il soupçonnera le piège et se sauvera. A présent tu étales tes framboises fraiches en contre bas vers ta gauche, sur la pente devant toi. Rappelle-toi que notre bestiole ne peut pas se mouvoir sur un terrain plat.
- Et comment je fais pour qu’elle se retourne et perde l’équilibre ?

Un petit rouquin s’approcha avec une fleur de pissenlit. Il coupa la fleur avec ses ongles et pinça l’extrémité de la tige jusqu’à ce qu’elle se fende sur quelques millimètres puis proclama fièrement :
- Voici un happeau à dahu ! tu places le côté fendu dans ta bouche et tu souffles dans la queue de pissenlit. Le son produit imite en fait le cri de madame dahu. Si ton futur trophée est un mâle amoureux, forcément il va se retourner pour l’entreprendre, ça c’est la nature… Tu attendras donc qu’il s’arrête pour s’empiffrer les framboises, et à ce moment tu souffleras dans ta tige. Attention, la sève de pissenlit, c’est drôlement amer !
Et en guise de démonstration, l’initiateur souffla lui-même dans l’instrument qu’il avait confectionné puis cracha par terre pour se débarrasser de la sève posée sur sa langue. (Chacun ici peut essayer, il suffit d’une tige de fleur de pissenlit.)
Pascal se retrouva ainsi à l’affût, assis les pieds dans l’eau froide, seul dans l’obscurité qui enveloppait maintenant la forêt. Il entendit bien les coups de bâton portés sur les arbres par ses compagnons, mais il lui semblait que ces bruits s’éloignaient, devenaient progressivement moins fréquents. Puis il ne les entendit plus du tout. Il ne perçut plus que la vie propre de la nature : le cri angoissant des oiseaux de nuit, la chute des branches mortes et des pommes de pin qui tombent dans les fourrés, l’appel soudain d’une grenouille au bord de la petite mare, et bien d’autres bruits suspects. Des sentiments de peur, d’abandon, de trahison émergèrent dans sa tête, il enroula la bâche à foin sur ses cuisses, y posa ses mains et son front et essaya de ne plus penser qu’au passage prochain du dahu qu’il ne faudrait surtout pas manquer.
Soudain il entendit comme des pas qui se rapprochaient. Il ne voyait rien mais sentait que cela venait de sa gauche. Cela ne pouvait donc pas être sa proie qui serait forcément arrivée par sa droite. Son sang se glaça brutalement. Il sentit son cœur battre de plus en plus vite, de plus en plus fort. Sous l’effet de la terreur, il lui sembla que tout son corps se paralysait et qu’il ne parviendrait même pas à courir pour échapper à cette menace invisible qui à présent le frôlait. Un grand cri d’effroi resta coincé dans sa gorge quand il sentit comme une main glisser sur son épaule. Il ferma les yeux, résigné à subir son destin.

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Message par TITJO »

- Coucou, mon Pascal, n’aie pas peur, ce n’est que moi, Colette.
- Colette, Mais que fais-tu là dans la nuit noire ? Et où sont les autres ?
- Ils sont déjà retournés au village. La chasse est terminée … d’ailleurs elle n’a jamais commencé. Car vois-tu, personne n’a jamais ni vu ni attrapé de dahu. On en parle, on en rêve, mais rien, pas de signe de son passage ni de sa présence. Aucun de la bande ne peut se venter de l’avoir ne serait-ce que croisé.
- Alors ils se sont moqués de moi !
- C’est leur façon particulière d’accueillir les garçons-je-sais-tout de la ville. Et plutôt que de te les mettre à dos en allant demander des comptes, je te propose une petite combine pour les surprendre à ton tour. Rentrons à la maison, nous verrons ça demain.

Elle l’accompagna jusqu’à la porte et lui déposa un baiser insistant sur la joue avant de le quitter.

Le lendemain, après avoir assumé les tâches habituelles, Colette demanda à sa mère de lui prêter la fiole de mercurochrome au prétexte qu’un chaton s’était blessé dans du fil barbelé. Puis elle entraîna Pascal dans un parc où poussaient des buissons épineux.
- Aide –moi à ramasser des poils que les vaches laissent sur les épines quand elles viennent se gratter.

Ils collectèrent ainsi une touffe que Colette enduit généreusement de mercurochrome avant de la faire sécher au soleil.
- Tu viendras ce soir rencontrer la bande et on va leur préparer une petite surprise à notre tour.

Le soir venu les enfants se ressemblèrent à la fontaine et bien sûr les garnements du village toisaient Pascal.
- Salut les potes, engagea –t-il.
- Tu n’es toujours pas notre pote, répondit le meneur. Tu n’as pas ramené de dahu.
- Je suis tout de même venu avec vous à cette chasse. Ce n’était pas suffisant comme preuve de camaraderie ? Bon, je suis peut-être rentré bredouille, mais vous tous, là, en avez-vous déjà attrapé un ? Qui peut me montrer une trace de sa capture ? Personne ? Parce qu’hier, pour une fois, si vous étiez venu m’aider comme prévu quand je lui ai sauté dessus, il ne nous aurait peut-être pas échappé.

Les gamins restèrent interdits par une telle révélation.
- Mais c’est impossible, tu dis n’importe quoi, tu n’as pas de preuves de ce que tu nous racontes !

Le ton montait du côté des garnements, Pascal se détourna et s’apprêtait à fuir voir la ferme de Raymond car certains regards devenaient même menaçants. Alors Colette s’avança et ouvrit sa petite main. Elle contenait une touffe de poils tout rouges qu’elle exhiba crânement sous les regards incrédules de chacun, puis elle commenta :
- Quand votre pote est revenu cette nuit de la forêt, je l’attendais dans la grange. Il était très contrarié et vous traitait tous de lâcheurs. Puis il m’a donné ces poils en précisant que la nuit dernière il avait réussi à agripper un dahu, probablement un dahu amoureux d’après la teinte rouge de sa crinière, mais lorsque son regard a croisé celui de l’animal, il s’est rendu compte que la pauvre bête louchait horriblement. Du coup il a éclaté de rire et a perdu ses moyens. Et comme il était tout seul, il n’a pas réussi à l’enrouler dans la bâche à foin et n’a pu rapporter que cette touffe par laquelle il avait tenté de le retenir. Voilà.
- Trop fort ! Trop fort ! murmuraient entre eux les garnements. Bon, maintenant tu es aussi notre pote.
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par TITJO »

Mon histoire se termine.
Le premier mai, il y a quelques semaines, je suis venu ici pour trouver du muguet. Un couple d’une soixantaine d’année marchait à quelques pas devant moi. Ils se donnaient la main. Lui portait d’épaisses lunettes cerclées et elle lui murmurait en souriant :


- Tu te souviens, mon Pascal ?


ça vous a plu :?:
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par ManuPatout »

Et bien nous sommes gâtés cette semaine !!!
Merci Titjo.
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Vincent HOVASSE
         
         
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par Vincent HOVASSE »

Plu?????
Ici c'est pluie.
Mais toi Titjo, comme Annie, vous nous apportez ce soleil et cette chaleur qui nous manquaient tant.
Merci mille fois cher ami.
Et n'hésites surtout pas à revenir. :wink:
Plus d'interrogation:
Pour la convivialité et l'échange quoi qu'en pensent certains!
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marie laure
         
         
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par marie laure »

Merci Titjo..très jolie histoire!....Nous sommes gâtés, nous avons de vrais artistes sur ce forum! :wink:
tigger lily chubb
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par Invité »

trop bien
on se revoit nous aussi chassant cet étrange animal dans la nature
souvenir souvenir.....
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Annie
       
       
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par Annie »

Merci, Titjo, pour la poésie et le rêve de ton conte. Ne nous manque que la voix du conteur, mais avec un peu d'imagination, on y met une pointe d'accent du midi et on se retrouve chez Pagnol, chez Daudet...c'est la même magie que tu nous apportes à chaque fois.
MR84

Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par MR84 »

J'ai enfin fini par la retrouvé cette rubrique qui n'intéresse que moi.
Je vais l'alimenter régulièrement, parce que j'aime partager certains plaisirs, certaines émotions.
Peut-être d'autres suivrons, peut-être pas.
Peut-être Titjo y publiera ces contes, peut-être pas.

En fin de compte, l'entraide n'est pas mon trip. Il faut modérer mes propos cependant. J'aide toujours lorsque l'on me le demande, mais pour la rubrique 'Entraide" j'arrive toujours trop tard le soir. N'effectuant que des visites à domicile je ne peux prendre connaissance des questions que lorsque celles-ci ont déjà obtenue des réponses.
Je ne peux donc intervenir que sur des questions généralistes et poélmiques qui sont mon régale mais qui vous gènes toutes et tous.
Soyez donc toutes et tous rassurés je ne me produirai plus sur le forum "Entraide", quel que soit le sujet, quitte à m'en mordre la queue (fantasme masculin), même si l'orde (pardon Vincent pour ce gros mot) est en question.

Je ne pourrais changer ce triste monde, je ne le cherche pas. Je l'ai toujours su, depuis et même avant ma naissance, mais peut-être arriverais-je à vous procurer certaines agréables évasions en partageant mes expériences autres qu'humanitaires.

Mais n'hésitez surtout pas. Si mes interventions vous gènent,comme elles ont géné certains invités et aussi Titjo, Daniel et Marco, plutôt que des recettes ou des dialogues dissipateurs hypocrites, faites le savoir directement, je ne vous en voudrai pas.
J'ai toujours été direct, qu'il en soit de même de votre part.

MichelMR84
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TITJO
         
         
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par TITJO »

bonjour à tous,

j'aurais bien une autre histoire villageoise - mais peut-être un peu longue pour la transcrire sur ce forum... :?

Voilà - j'hésite à encombrer.
BIZETTES LORRAINES DE LORD TITJO
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G2
         
         
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Re: Espace culturel: partagez vos textes.

Message par G2 »

Titjo, nous sommes tout ouïe
Si Dieu existe, il faudra qu'il ait une bonne excuse.
Woody Allen
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