insomnitude
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Amis végaliens, cette nouvelle n’est pas à lire comme le rapport d’un fait unique, c’est en fait un recueil, une docu-fiction établie sur des faits authentiques.
"POUR UN FLACON D’HUILE."
Cette histoire est-elle la mienne ou celle d’Henry, à l’heure qu’il est, je ne sais plus.
Ce vieil ami n’était pas venu à notre dernier jubilé de la promo soixante-neuf. A cette époque il se battait contre un cancer pulmonaire. Puis à peine retapé, il s’est offert un triple pontage à Pâques dernier et tout cela lui a fait découvrir la nouvelle génération des remplaçants.
Je lui ai longuement téléphoné hier soir pour prendre de ses nouvelles.
Henri s’est aussi établi dans une bourgade de la Lorraine profonde où il offrait une pratique généraliste compétente et dévouée, peut-être à l’excès, ne lésinant jamais sur le temps à passer à la tâche. Une âme simple, rustique et très attachante. A défaut de trouver un repreneur qui lui garantirait par contrat une activité virtuelle pour permettre à la fois le maintient de ses indemnités de maladie et l’aboutissement de sa carrière, il enchaine donc les contrats de remplacement.
Chers lecteurs, restez assis, c’est mieux pour vous !
Le remplaçant-nouveau débarque, saisit le cahier de rendez-vous, évalue d’un coup d’œil le volume d’activité de la semaine, et surtout observe les horaires d’ouverture. Pour lui, qui ne veut pas se déplacer « pour rien », il faudra tout de même retarder l’ouverture et fermer plus tôt le soir.
Il visite le local et note qu’il est équipé comme un musée, et selon lui il y manque l’essentiel pour un exercice correct.
- Vous n’avez pas d’alèzes en papier pour recouvrir les tables ? Moi je ne veux pas de vos nappes en éponge ! Pas d’OCR ? Pas de crio ? Et la table, là, elle n’est pas électrique ! Et n’a pas de trou pour le visage ! Et c’est quoi ça ? Vous dites une « bobine d’Andrieux » ? C’est pour quoi faire ? Un porte-manteau ? Où sont les flacons d’huile ?
"POUR UN FLACON D’HUILE."
Cette histoire est-elle la mienne ou celle d’Henry, à l’heure qu’il est, je ne sais plus.
Ce vieil ami n’était pas venu à notre dernier jubilé de la promo soixante-neuf. A cette époque il se battait contre un cancer pulmonaire. Puis à peine retapé, il s’est offert un triple pontage à Pâques dernier et tout cela lui a fait découvrir la nouvelle génération des remplaçants.
Je lui ai longuement téléphoné hier soir pour prendre de ses nouvelles.
Henri s’est aussi établi dans une bourgade de la Lorraine profonde où il offrait une pratique généraliste compétente et dévouée, peut-être à l’excès, ne lésinant jamais sur le temps à passer à la tâche. Une âme simple, rustique et très attachante. A défaut de trouver un repreneur qui lui garantirait par contrat une activité virtuelle pour permettre à la fois le maintient de ses indemnités de maladie et l’aboutissement de sa carrière, il enchaine donc les contrats de remplacement.
Chers lecteurs, restez assis, c’est mieux pour vous !
Le remplaçant-nouveau débarque, saisit le cahier de rendez-vous, évalue d’un coup d’œil le volume d’activité de la semaine, et surtout observe les horaires d’ouverture. Pour lui, qui ne veut pas se déplacer « pour rien », il faudra tout de même retarder l’ouverture et fermer plus tôt le soir.
Il visite le local et note qu’il est équipé comme un musée, et selon lui il y manque l’essentiel pour un exercice correct.
- Vous n’avez pas d’alèzes en papier pour recouvrir les tables ? Moi je ne veux pas de vos nappes en éponge ! Pas d’OCR ? Pas de crio ? Et la table, là, elle n’est pas électrique ! Et n’a pas de trou pour le visage ! Et c’est quoi ça ? Vous dites une « bobine d’Andrieux » ? C’est pour quoi faire ? Un porte-manteau ? Où sont les flacons d’huile ?
Modifié en dernier par TITJO le sam. oct. 30, 2010 4:29 am, modifié 1 fois.
BIZETTES LORRAINES DE LORD TITJO
Re: insomnitude
... Henri n’en revient pas. D’un seul coup il découvre son cabinet sous un autre regard. Pourtant l’équipement correspond depuis toujours à ses besoins. Il a périodiquement investi dans du matériel plus récent, annoncé comme providentiel, incontournable, qui a souvent fini dans un placard. Car son vrai outil, ce sont bien sûr ses mains pleines de doigts. De retour dans le bureau, il propose de s’assoir pour remplir un contrat de remplacement.
- C’est bon, j’ai apporté des formulaires préremplis pour les rubriques « remplaçant », vous n’avez plus qu’à compléter celles du titulaire et signer.
- Je peux quand même lire ce que je signe ? Perso je propose, comme c’est l’usage, une rétrocession de 70% des actes facturés…
- Alors pour moi, c’est 75% des actes « effectués », payables à mon départ ! Vous comprenez, si je travaille beaucoup, vous allez encaisser sans rien faire bien plus que pour vos charges, et ça, c’est du salariat déguisé ; je pense même à des tranches de variation de la rétrocession, comme pour les impôts, ça serait plus réglo, non ?
- C’est surtout assez inédit. On pourrait prendre un avis auprès du conseil de l’ordre…
- Ouais, bien sûr, certainement des potes à vous, qui cherchent surtout à protéger leurs positions dominantes sur le marché et qui craignent la génération émergeante! Il est temps qu’on vire tous ces petits seigneurs se partageant entre les syndicats et les conseils ordinaux. D’ailleurs moi, je suis en accord avec les décisions de l’Uncam, pour les référentiels, pour un contrôle rapproché des pratiques et des cadences de rendez-vous, pour la fermeture des cabinets qui ne répondent pas aux normes d‘accueil du public.
- C’est bon, j’ai apporté des formulaires préremplis pour les rubriques « remplaçant », vous n’avez plus qu’à compléter celles du titulaire et signer.
- Je peux quand même lire ce que je signe ? Perso je propose, comme c’est l’usage, une rétrocession de 70% des actes facturés…
- Alors pour moi, c’est 75% des actes « effectués », payables à mon départ ! Vous comprenez, si je travaille beaucoup, vous allez encaisser sans rien faire bien plus que pour vos charges, et ça, c’est du salariat déguisé ; je pense même à des tranches de variation de la rétrocession, comme pour les impôts, ça serait plus réglo, non ?
- C’est surtout assez inédit. On pourrait prendre un avis auprès du conseil de l’ordre…
- Ouais, bien sûr, certainement des potes à vous, qui cherchent surtout à protéger leurs positions dominantes sur le marché et qui craignent la génération émergeante! Il est temps qu’on vire tous ces petits seigneurs se partageant entre les syndicats et les conseils ordinaux. D’ailleurs moi, je suis en accord avec les décisions de l’Uncam, pour les référentiels, pour un contrôle rapproché des pratiques et des cadences de rendez-vous, pour la fermeture des cabinets qui ne répondent pas aux normes d‘accueil du public.
BIZETTES LORRAINES DE LORD TITJO
Re: insomnitude
- Sincèrement, je ne cherche même pas à savoir si vous avez raison. Si vous voulez travailler ici, nous allons signer MES formulaires, tout à fait standard, car je lis aussi dans les vôtres que vous acceptez une franchise de non-concurrence d’un mois, ce qui me parait un peu court, assortie de pénalités équivalant de deux mois de CA. Vous avez trouvé ça où ?
- Je l’ai « actualisé ».
- Bref, nous allons plutôt signer le mien.
- Petite précision : je veux des alèzes-papier et de l’huile de massage pour commencer.
- Il n’y a jamais eu d’huile de massage chez moi ; c’est ce qui distingue sans ambigüité ma pratique de celle des esthéticiennes dites modeleuses. Au fait, êtes-vous formé pour le massage réflexe, la RPG, le Kabbat ? Avez-vous des notions d’ostéopathie, de microkiné, d’énergétique ? Je suppose que vous êtes plus au fait des bilans que moi…
- Non, j’ai des méthodes d’aujourd’hui qui nécessitent de l’équipement d’aujourd’hui.
Le remplaçant s’est tout de même mis au travail. Mais comme Henri habite le logement au-dessus du cabinet, il descend chaque matin pour accueillir le premier RV, ce qui masque le retard régulier du kiné. Les horaires ont été chamboulés, les postes de soins aussi, et bien sûr les méthodes dont les performances sont censées supplanter celles du titulaire. Les massages décontracturants sont rythmés par des séries de rock and roll (bonjour Mme SACEM…). Puis, constatant après plusieurs jours qu’aucun encaissement n’est effectué, il descend un soir dans son bureau pour comprendre. C’est simple, à part les pointages, rien n’est fait. Ni dossiers, ni bilans, ni DEP, ni factures. Rien !
Une petite exploration des pointages finit de l’effondrer. Le remplaçant a enregistré des séances chez des gens qu’il n’a jamais vus. Certaines fois, il a réussi à doubler des séances, et plus grave encore, il a pointé une visite d’une patiente hospitalisée deux jours avant. Bien sûr, maintenant mon ami effectue des contrôles quotidiens en espérant que toutes les séances ont réellement été effectuées. Et il m’a confié :
- Pendant mes périodes d’hospitalisation, tu ne peux pas imaginer à quel point je me suis fait entuber !
- Je l’ai « actualisé ».
- Bref, nous allons plutôt signer le mien.
- Petite précision : je veux des alèzes-papier et de l’huile de massage pour commencer.
- Il n’y a jamais eu d’huile de massage chez moi ; c’est ce qui distingue sans ambigüité ma pratique de celle des esthéticiennes dites modeleuses. Au fait, êtes-vous formé pour le massage réflexe, la RPG, le Kabbat ? Avez-vous des notions d’ostéopathie, de microkiné, d’énergétique ? Je suppose que vous êtes plus au fait des bilans que moi…
- Non, j’ai des méthodes d’aujourd’hui qui nécessitent de l’équipement d’aujourd’hui.
Le remplaçant s’est tout de même mis au travail. Mais comme Henri habite le logement au-dessus du cabinet, il descend chaque matin pour accueillir le premier RV, ce qui masque le retard régulier du kiné. Les horaires ont été chamboulés, les postes de soins aussi, et bien sûr les méthodes dont les performances sont censées supplanter celles du titulaire. Les massages décontracturants sont rythmés par des séries de rock and roll (bonjour Mme SACEM…). Puis, constatant après plusieurs jours qu’aucun encaissement n’est effectué, il descend un soir dans son bureau pour comprendre. C’est simple, à part les pointages, rien n’est fait. Ni dossiers, ni bilans, ni DEP, ni factures. Rien !
Une petite exploration des pointages finit de l’effondrer. Le remplaçant a enregistré des séances chez des gens qu’il n’a jamais vus. Certaines fois, il a réussi à doubler des séances, et plus grave encore, il a pointé une visite d’une patiente hospitalisée deux jours avant. Bien sûr, maintenant mon ami effectue des contrôles quotidiens en espérant que toutes les séances ont réellement été effectuées. Et il m’a confié :
- Pendant mes périodes d’hospitalisation, tu ne peux pas imaginer à quel point je me suis fait entuber !
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Re: insomnitude
Puis le confrère d’appoint lui a déclaré qu’il avait épuisé sa propre fiole d’huile de massage et qu’il fallait le ravitailler. Henri lui a alors signifié que les moyens mis en œuvre sur place excluaient ce produit et que s’il l’autorisait à en utiliser, c’était à ses propres frais.
- Ah ouais d’accord, vous mégotez pour me fournir un flacon d’huile ! Monsieur le titulaire, nos points de vue sont trop éloignés et incompatibles. Je vous prie de trouver un autre remplaçant car moi je vais aller ailleurs, on m’attend partout où je veux.
- Je prends note. Et je prends note aussi que sans ma vigilance administrative, je n’aurais pas les moyens de vous régler votre rétrocession. Et je me félicite d’avoir maintenu le taux de 70/30, car la chute de fréquentation que je constate ne permet même plus de financer les charges avec la part qui me revient.
Hé oui… plus apte pour exercer mais pas encore tout à fait au top de la retraite. C’est une transition aussi gaie qu’un brouillard de Toussaint. Les nuits sont interminables à attendre l’aurore.
- Ah ouais d’accord, vous mégotez pour me fournir un flacon d’huile ! Monsieur le titulaire, nos points de vue sont trop éloignés et incompatibles. Je vous prie de trouver un autre remplaçant car moi je vais aller ailleurs, on m’attend partout où je veux.
- Je prends note. Et je prends note aussi que sans ma vigilance administrative, je n’aurais pas les moyens de vous régler votre rétrocession. Et je me félicite d’avoir maintenu le taux de 70/30, car la chute de fréquentation que je constate ne permet même plus de financer les charges avec la part qui me revient.
Hé oui… plus apte pour exercer mais pas encore tout à fait au top de la retraite. C’est une transition aussi gaie qu’un brouillard de Toussaint. Les nuits sont interminables à attendre l’aurore.

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- ManuPatout
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- Enregistré le : lun. déc. 10, 2001 4:57 pm
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Re: insomnitude
Et ces moments de lecture passent trop vite.
Merci Titjoctambule !
Merci Titjoctambule !
- marie laure
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- Enregistré le : lun. mars 26, 2007 1:48 pm
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- Localisation : LOT ET GARONNE
Re: insomnitude
Merci Titjo...tu es un bon écrivain, seul point positif de cette nouvelle
...ahhhhhhhh il y a des GRANDS coups de pied au c.l qui se perdent!!!!

tigger lily chubb