La pièce ne dépassait pas les neuf mètres carré et je partageais la fenêtre étroite avec les pigeons bavards abrités en grand nombre par le clocher voisin. Au sol, j’avais caché le balatum fatigué par un vieux tapis en sisal récupéré chez ma grand-mère. Après avoir rafraîchi le plafond, j’avais fixé des dosses qui ceignaient le bas des murs pour me séparer des endroits à l’aspect douteux. Les amis étudiants qui passaient appréciaient une vaste plaque en isorel peinte au noir à tableau qui garnissait le mur le plus dégagé, car nous y avons usé des fagots de craies de toutes les couleurs pour intégrer l’anatomie par les doigts et par les bras. Je m’étais meublé avec des bric-à-brac à quatre francs-six-sous et en hiver, c’est un tout petit radiateur soufflant électrique suffisait pour tempérer mon antre.
Mais pour le coup, je vais vous raconter une anecdote d’un pote moins bien loti que moi. Il s’appelle Benoit et préparait, seul mâle de sa promotion, le DE d’ergo. Nous avions tous les deux un véhicule à traction avant, moi un Solex et lui une vieille 4L car il venait d’assez loin. Il faut préciser qu’à l’époque, si ma mémoire ne me trahit pas, il n’y avait en France que trois écoles d’ergo.
Benoit avait trouvé pour sa part une chambre un peu plus vaste, dans la même rue, juste à l’aplomb d’une boucherie-charcuterie. A certaines périodes, on ressortait de chez lui en véhiculant de puissants effluves de viande fumée. On aimait bien se réunir à quelques uns chez l’un ou l’autre pour réviser les cours et surtout comparer les notes que nous avions rédigées en amphi. Il n’avait aucun chauffage et un soir qu’il faisait très froid, je découvris une face insolite de notre bohème.
Nous étions trois ou quatre à le suivre au retour du resto-U et il nous pria de rester en manteau encore quelques instants. Il sorti alors deux flacons et une casserole en alu ; Il y versa un bon verre d’alcool à brûler, la posa au milieu de la pièce et l’enflamma avec une allumette. Les flammes s’élevèrent nerveusement jusqu’à notre hauteur, pratiquement sans fumée, et bientôt nos yeux irrités rougirent. Puis le feu s’apaisa progressivement et il faisait déjà beaucoup moins froid. Nous passâmes alors à la deuxième étape de lutte contre le froid. Benoit sortit autant de verres que de personnes et les remplit généreusement avec le deuxième flacon, du rhum. Puis il incita chacun à faire cul-sec à la santé de chépaki. Pas le choix. Il disait que ça permettait aussi de moins subir les relents du commerce en ré de chaussée.
Ce que j’ai oublié, c’est quelle matière nous devions bucher ce soir-là. Mais l’ambiance dionysiaque, je ne l’ai pas oubliée. A notre départ la chopine de rhum était vide, j’ai enfourché mon Solex qui a retrouvé mon adresse tout seul, heureusement pas très éloignée…

bisouille